« DELIRE DE CRITIQUE », CENT THEORIES DU COMPLOT AJOUTEES

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« Mais si le sol nu, déblayé, nivelé, avait plus de valeur par lui seul qu’avec toutes les maisons qui l’encombrent, il s’ensuivrait que les démolisseurs lui ajoutent plus qu’ils ne lui ôtent, et qu’en le dépouillant, ils l’enrichissent. Est-ce possible ? C’est certain. » Edmond ABOUT

« L’origine du pouvoir suprême est pour le peuple, qui y est soumis, insondable au point de vue pratique, c’est-à-dire que le sujet ne doit pas discuter activement de cette origine comme d’un droit contestable relativement à l’obéissance qu’on lui doit ». Kant

La société cybernétique le proclame fièrement : elle piétine un par un les esprits qu’elle a assemblés pour sa machine comme des organes de détail ; c’est son moment de gloire et son but, que de tout mettre à l’unisson dans son panoptique sans frontières, moralement et techniquement. Les hommes et les objets sont compressés dans une syntaxe à la grammaire sévère. Sont justifiés, sans retour possible, la division en classes, niée par les tristes rhéteurs de la nouvelle police, mais par-là même minutieusement affinée par la fausse rébellion qui, en brisant sa perception, manipule les consciences ; les politiques économiques garantissant les progressions de la dépossession et de l’exploitation dans les décors du désastre et de l’oubli ; l’ensemble des répressions soumettant toujours plus la monade humaine, afin qu’elle ne sorte pas de son enclos ; le travail hors limites qui a mis la totalité de l’existence en service dans les innombrables structures de la présence : là où l’on ne doit plus percevoir de scission fondamentale, ni même ontologique, entre la machine et l’homme – la pseudo-fin du travail ; l’enclosure cybernétique et l’instauration de l’espace social des objets dont la 5G est le plus beau fleuron, désormais défendu par les militants du complexe éco-industriel ; les ravages biotechnologiques visibles jusque dans les moindres détails de la survie planifiée ; la réification du vivant et ses proliférantes maladies ; le contrôle de la vie par des moyens techniques qui vont jusqu’à sa destruction méditée ; l’art de couronner la seconde nature par des désastres sans cesse recommencés qui sont à la fois attendus, voulus, provoqués ; les multiples politiques du bord de l’abîme devenues méthodes ordinaires de gouvernement – la réforme climatique ; le baroque culturel de supermarché avec ses langages appauvris et bruyants ; la lèpre urbanistique s’étalant sur un territoire qui se meurt ; la suspension des lois et un « état d’exception » permanent, aménagement supplémentaire de la servitude, avec ses règles non-écrites ; la gauche radicale du syndicat de la machine – l’avant-garde cybernétique et ses luttes partielles pour améliorer les rapports de production, ses lucratifs monstres idéologiques, ses insistantes revendications d’annulations post-humaines, ses Torquemada de la déconstruction et ses brigades de théoriciens-policiers ; la logique relationnelle avec ses dispositifs prophylactiques effaçant tout contact, affirmant la prééminence des instruments logico-politiques de la séparation qui réduisent l’existence à n’être qu’une malsaine sécrétion métabolique de l’espace cybernétique, de ses réseaux et de ses flux. Il n’est pas jusqu’à l’art comme collection d’immondices qui ne soit venu soutenir toutes les décérébrations possibles par la célébration continuelle de ses déjections subventionnées aux œuvres minuscules, inexistantes ou sans grâce, véritables baromètres d’une aliénation qui circule en scrapant… Les nœuds de ténèbres que la société cybernétique tisse avec application sur n’importe quel aspect du présent et, parfois, sans nécessité aucune, ne peuvent et ne doivent provoquer ni le doute, ni la suspicion. Ils doivent être pris pour ce qu’ils sont : de véritables ordres à penser dans l’ordre. Si le passé est irrévocablement emporté, le présent – l’ensemble de ce qui se produit – est, d’heure en heure, résumé, modifié, rectifié, mis au secret dans d’impénétrables archives qui brûlent à dates régulières. Sous les lourdeurs du chiffre officiel, qui est apposé sur chaque aspect de la réalité et à la hâte par les salariés de la nouvelle police, le moindre événement bascule dans l’oubli immédiat : ce que plus personne n’ose évoquer est comme ce qui n’a jamais existé.

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Pas plus que l’on ne peut, ni ne doit, se soulever contre l’empire de la marchandise, l’on ne peut sortir de sa zone de propagande sans être défini comme un ennemi intérieur par les sycophantes qu’il déploie le long des barbelés divisant son territoire en espaces concurrents ; qu’il précipite les uns sur les autres dans des luttes de substitution sans fin – des vagues qui semblent se mêler, alors qu’elles se fuient. La contre-révolution par percolation, cette série de conflits ritualisés et étroitement contrôlés par l’intelligentsia-système démontre que celle-ci s’est constituée, sans coup férir, en une branche de la police politique de la société cybernétique ; intelligentsia qui a accepté d’en assumer, par exemple, les fonctions de censure, à côté de quelques autres moins reconnues et plus professionnalisantes, sur la base de quelques scies, toujours les mêmes, sous la couverture d’idéologies pseudo-révolutionnaires transformées, après avoir été soigneusement désinfectées de leur négativité, en instruments logico-politiques de la séparation. Elles sont garanties par les institutions qu’elles prétendent critiquer et, comble d’imposture, parfois vouloir défaire. Le champ d’action de cette intelligentsia-système s’étend depuis la création et la direction de minorités préfabriquées, chimères créées ad hoc sur la base de quelques insatisfactions sectorielles – souvent vécues sur un mode fantasmatique – et qui s’entendent à le rester éternellement, jusqu’à l’établissement de fausses concessions pour arroser spectaculairement les maigres troupes levées sur d’aussi minces raisons, toujours en déroute dans la grande parade du sociétal ; jetées dans le vide qui les aspire à sa convenance et selon les axes de progression de l’utopie-capital ; si parfaitement privées de tout qu’elles ont depuis longtemps accepté leur dispersion mécanique sur l’espace social des objets comme le seul état qui convient vraiment à leurs admirables protestations avant-gardistes ; assurées qu’elles sont que rien ne changera, sinon en pire, après leur inoubliable passage dans l’usine à tourmentes rationnalisées et à effervescences auto-limitées ; état qui viendrait à leur manquer cruellement si seulement elles reconnaissaient dans cette intelligentsia qui les dirige dans les béhourds prévus – où les coups ne sont jamais d’estoc et encore moins de Jarnac – un personnel spécialisé dans la défense en redans d’un pouvoir hégémonique qui tourne à la caste et au désastre. La société cybernétique règne grâce au dynamisme de ses petites et proliférantes divisions : l’espace social des objets, dans ses décimations recherchées – c’est son art du gouvernement et sa principale caractéristique – ne doit être battu que par les vagues incessantes d’acclamations spontanées des machines à applaudir ; elles viennent lécher ses récifs pendant le naufrage.

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La vérité, dans la société cybernétique, c’est ce qui change plusieurs fois par jour, à la grande joie des spectateurs, jamais lassés de leurs étonnantes aventures dans le parc des marchandises. La société cybernétique ne tolère aucune zone de battement sans l’investir immédiatement, sans la caler, par ses raisonnements enfantins, ses syllogismes calamiteux, ses actes d’accusations calomnieux dressés dans d’obscures procuratures aux motifs dissimulés, sur la base de vocabulaires inventés sur le tas, des abracadabras carcéraux émis selon les nécessités du moment, aux néologismes touffus et incompréhensibles au commun des mortels, mais dont la simple prononciation par les bonnets carrés de la nouvelle police vaut pour condamnation – ne fréquentez pas leurs caves. Elle s’adresse à des enfants artificiellement prolongés, égarés dans les programmes obsessionnels et fragmentaires du génie sociétal. Les versions officielles en concurrence, qui se soutiennent par cela même sur le marché de l’explication, ne sont pas émises pour être crues longtemps ; pas même au moment où elles sont proférées par des médiatiques que tous savent corrompus, crapuleux, ou, plus simplement imbéciles. Le contenu de ce qui est raconté, qui doit être vite oublié, est nul, superficiel, illisible, exprimé dans une langue médiocre par des faux témoins qui récitent avec maladresse ce qu’ils ont dû vite apprendre en consultant le cahier des charges du jour trop rapidement écrit – en ajustant leurs dentiers de soixante-cinq dents dans leurs bouches prostituées. La cohérence des messages n’est pas le premier souci de leurs émetteurs et cela dans aucun des domaines qu’ils abordent. Ce qui est dit l’est en dehors de toute vraisemblance, recoupé par des sources qui sortent du même tonneau à mensonges, et ne correspond que de loin et vaguement à une quelconque réalité. Si les médiatiques ont dit ceci, ils peuvent tout aussi bien dire cela – et dans la même phrase. Leur seul but est de soutenir par leurs clameurs sans mémoire, dans son écroulement permanent et dans le brouillard toxique de l’information, la pseudo-réalité du système totalitaire, d’empêcher la formation d’une opinion critique qui ne s’abreuve pas à leurs fontaines empoisonnées, de protéger les palais de la domination de toute incursion, quelle qu’en soit la nature. Il a été dit que l’information n’existait que pour que les maîtres puissent manifester le mépris dans lequel ils tiennent le peuple – chaque jour.

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Des médiatiques peuvent simuler une forme de surprise face à quelques désastres du nouveau monde soigneusement choisis dans la courte liste qu’ils ont reçue, et qu’ils prétendent ne jamais avoir été voulus, ni même provoqués, puisque nous avons atteint, grâce à la société cybernétique, à ses machines, un état de transparence totale ; ce qui fait que nous sommes immergés dans un bain d’innocence édénique au milieu de catastrophes qui tombent en formations serrées.  Elles ont amélioré l’art du gouvernement en le simplifiant ; elles l’ont rapproché de ses origines barbares, qu’elles font revivre. Il n’y a plus besoin de penser stratégiquement quand il s’agit de gouverner des presque morts pendant les évacuations et les expropriations. L’austère gouvernement cybernétique n’est tenu à aucun principe d’excellence là où il doit diriger, vers des buts surprenants, sacrificiels, le citoyen informé qu’il a pris soin de faire vivre dans une privation et une peur permanente en passant de la persuasion aux coups, c’est-à-dire de l’ombre de la massue à la massue elle-même ; car lorsque l’intérêt ne suffit plus – ciment social qui se dissout en tout lieu -, le recours à la force, quelle qu’en soit la nature, s’impose en tant que terme logique et brutal de tout pouvoir constitué. Quand règne uniquement l’urgence et ses terrorisantes préoccupations, la victoire en chantant appartient au moins nul des adversaires en lice. Là où un Clémenceau faisait à peine l’affaire pendant la grande boucherie, cent macrons élevés en batterie au charisme de limaces en rut, et qui se sont reproduits entre eux selon les rudes principes de sélection qui ont cours dans leurs haras, le remplacent avantageusement avec leurs airs de casseurs d’assiettes qui semblent toujours avoir un bras qui gêne l’autre quand il s’agit de frapper, comme à regret, les sans-dents, les déplorables. La société cybernétique se signale à l’attention de ses esclaves par le grand nombre d’incompétents, soigneusement choisis, qu’elle sait réunir là où le besoin s’en fait sentir dans sa gestion catastrophique de la catastrophe, quand il s’agit de maintenir ses sujets dans les limites de leur devoir ; sans pourtant qu’elle donne l’air de le faire ou même de le vouloir. De plus, considérant ce personnel subalterne et le genre d’intelligence si particulière qu’il lui faut posséder et déployer en cette délicate matière, si nécessaire pour gouverner, il n’est pas très utile que tous sachent à quoi ils sont réellement employés ; dans quel but et pour qui. Dans la plupart des cas, ces subalternes doivent ignorer jusqu’à la nature du pouvoir qu’ils servent. Et pour les plus curieux, s’il en reste, par miracle, quelques-uns, s’ils venaient à l’examiner froidement et à le peser pour ce qu’il vaut, il leur faudrait ou disparaître, ou se taire ; ou en rajouter dans l’incohérence pour survivre : c’est ce que tous font pour ne pas paraître moins fous que d’autres dans la basse-cour, quand c’est le très rationnel Ubu qui gouverne dans le donjon. De là vient, sans doute, cet aspect de démence débridée qui couvre l’exécution d’un si grand nombre d’opérations publiques ou secrètes de la société cybernétique. C’est une forme d’habileté qui est toute en maladresses remarquables. C’est avec mille précautions que le personnel recruté – les bœufs avancés sur l’échiquier – accomplit sa suite d’erreurs insolites, par inadvertance, sans motif et sans cruauté, au service de quelque chose qui ne peut pas être nommé, puisqu’il n’est pas ; et qui donc n’a rien pu engendrer, hormis les pauvres excès signalés sur lesquels l’attention est attirée, vite corrigés selon la rumeur. Les exemples ne manquent pas.

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L’accidentel prédomine toujours sur le marché des explications.  Avant même d’examiner les ruines de ce qui brûle encore, toute autre thèse est écartée avec le plus grand mépris par les meutes du Syndicat des Anesthésiés en Colère chez qui toute capacité d’analyse semble avoir été totalement anéantie, dans des suites de collapses cognitifs qui traduisent, encore plus qu’un mensonge, un véritable refus et une incapacité de rendre compte de la société cybernétique et de son art du gouvernement si spécial. Gouverner dans la société cybernétique, c’est multiplier les catastrophes, comme l’autre, les petits pains et espérer les interruptions, les prévoir, les organiser le plus souvent, en profiter par la mise au point de protocoles standardisés quand elles sont issues du hasard, ou ce qui tend à être perçu pour tel  – il n’y a plus de catastrophe naturelle. Gouverner, c’est défaire toutes les raisons particulières, pour imposer celle du maître, qui, ayant abandonné toute prétention morale, dissimule ses raisons profondes sous le plat moralisme de ses domestiques ; plat moralisme qui n’est rien d’autre qu’un cynique instrument du pouvoir, cachant, par souci d’efficacité, ses transgressions et ses méchancetés calculées sous un masque suave affirmant que tous les moyens de la domination sont bons, à condition qu’ils soient conformes aux règles de ce plat moralisme : leur intérêt commande aux princes, le bâton au peuple et la logique de la marchandise aux deux. L’accident et la catastrophe sont les attributs d’une société nihiliste qui se structure autour de ses irrégularités rationalisées ; et là où règne la stratégie du désastre, surgissent ses mercenaires et leurs inquiétantes prévisions. Autrefois l’accident et la catastrophe étaient vus comme une interruption du cours normal de l’existence et une menace pour l’ordre social, une négation de la raison : ils sont devenus les emblèmes du souverain, sa normalité : c’est ce qui règle sa logique politique quel que soit le domaine abordé qui, pour être tenu, doit être ravagé à date régulière (cf : le Liban comme laboratoire du mondialisme). La société cybernétique a mis concrètement, et partout, la mort à l’ordre du jour : c’est une affirmation sans phrases de son ordre économique et social, de ses finalités.

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Dans la société cybernétique on massacre par erreur ceux qui ont été volontairement oubliés et qui ne seront jamais cités ; on n’y tue pas pour réprimer, mais pour sauver ; on verse innocemment le sang, car on ne sait plus à qui il appartient ; on déclare qu’il n’est pas toujours rouge ; on n’incendie pas par rétorsion, mais parce qu’on vient de réparer par sécurité ; par une sorte de perfection, on ne détruit pas : on s’excuse de ses erreurs de gestion ; et en manière de plaisanterie les effets pervers sont maintenant remplacés par des effets d’aubaines sur le champ d’expansion illimité du nouveau monde et de ses surprenantes lois, dont nul ne sait le jour où elles ont paru, ni même, pour certaines, si elle paraîtront. Rien de ce qui a été fait ne peut ni ne doit être attribué à une volonté particulière ou ne profite à qui que ce soit ; c’est la légende qui l’affirme par ses mille haut-parleurs – son intelligentsia dans l’enceinte de l’utopie.

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Le citoyen informé, qui prétend ne plus avoir d’autres maîtres que ceux qu’il croit avoir choisi, ressemble à cet homme qui, tombant à la vitesse d’une pierre et sans parachute, se console à l’idée que ceux qui sont restés dans l’avion obéissent, eux aussi, aux lois de l’attraction terrestre. Le véritable ennemi étant, de fait, la pesanteur et sa logique de fer en tant qu’elle entraîne, nécessairement, tout le monde vers le bas.

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Finalement, il nous faut le croire, le maître maladroit est encore plus malheureux que ses esclaves ; et aujourd’hui on n’en connaît plus un seul, qui ne leur promet pas de tout remettre en état dans les meilleurs délais, climat compris, à la seule condition qu’il soit porté à la tête des révoltes qu’il a choisies.

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On a longtemps cru, comme si cela était une obligation morale, que les logiciens se devaient de se reconnaître, comme leurs prédécesseurs bourgeois, que les explications devaient venir, en toute bonne logique, après les désastres ; mais là également des bouleversements extraordinaires ont eu lieu : il n’y a plus de bonne logique et ses lois ont été destituées, selon le charabia du moment, par des experts que l’on ne doit point soupçonner de vouloir renverser quoi que ce soit. Dans la société cybernétique les explications sont fabriquées avant, sur les quelques misérables canevas toujours les mêmes, toujours élaborées dans les mêmes écoles spéciales, afin que le hasard n’ait que la part la plus limitée possible dans l’ensemble des entreprises d’expropriations, explications comprises  ; et parce que les crétins, qui se sont singulièrement multipliés ces derniers temps, aiment qu’on leur raconte toujours les mêmes contes à dormir debout – c’est le nouveau monde : là je dors, c’est la berceuse qui monte depuis l’indigne garenne intellectuelle où se sont réfugiés les lapins de l’avant-garde radicale qui marchent dans les traces de leurs propres pas.

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Quelquefois des antérogrades en viennent à découvrir et en soulevant une paupière, lourde d’un sommeil sans trêve, de troublantes coïncidences, mais aller au-delà de cette invraisemblable considération les expose aux dangers de la brûlante atmosphère entourant le bûcher aux hérétiques dressé avec ferveur par les employés de la nouvelle police ; ils savent faire fondre les plus belles convictions, avec leurs meilleurs arguments ; et vite. Ceux qui ne se souviennent jamais, souvent par un triste calcul sur la comète, en restent toujours, avec humilité, au stade des hypothèses assistées. Elles ne sont jamais assez vérifiées, jamais assez subventionnées, jamais assez diffusées ; sanitaire ou policier, quantité ou qualité, biopolitique ou coup du monde, planification ou incohérence, fiction ou pandémie, opportunisme ou entêtement, répression ou prévention, stratégie, complot ou effet d’aubaine, tout d’un coup ou déjà là, régulation systémique ou incompétence, épidémie ou syndémie, chauve-souris ou pangolin, évadé ou fabriqué, leurs cœurs balancent et chavirent à l’avantage des falsifications alternatives en cours. Ces spectateurs de première classe répugnent professionnellement à avoir le dernier mot sur quoi que ce soit de ce qui les entoure et les dépasse. Ils sont tenus, par obligation contractuelle, de l’évoquer, mais tout doit rester à l’état d’un questionnement sans finconduire tout soupçon vers le cimetière le plus proche. Ils font partie, quoique latéralement, du marché des explications qu’ils abondent de leurs naïvetés feintes. Ils y sont jetés tactiquement sur ce marché, régulièrement, comme un renfort au moment des écroulements du mensonge, pour colmater des fissures dans la brèche. Quelques vérités partielles peuvent même être injectées sur ce marché, mais, en fin de compte, elles sont accommodées à la médiocrité ambiante. Pour y survivre, elles obéissent au cahier des charges de la falsification générale, qui les fait sombrer sous le poids de ses neutralisations médiatiques. Ces vérités sont la copie de la copie puisque la première de la série, celle qui a tout effacé provisoirement, passait déjà pour l’originale, qui fut engloutie après sa scandaleuse première apparition.

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Avec les médiatiques qui dansent autour du brasier des falsifications, la vérité jetée au milieu, le citoyen informé se scandalise qu’un missile atteigne sa cible pour la détruire ; et même qu’on en fabrique dans l’unique but de les envoyer quelque part alors qu’on pourrait tout aussi bien se les garder pour sauver des emplois, en se les envoyant d’une manière aléatoire ; ce citoyen s’étonne que la société cybernétique procède, sans vraiment les dissimuler, à différentes formes d’exterminations inédites sur ses terres, à des choix selon la novlangue en cours ; que l’on administre du Rivotril à des vieillards dans les rentables mouroirs de la marchandise, que le citoyen informé feint de découvrir à l’instant même où les médiatiques les lui révèlent : il vient d’oublier qu’il y a inscrit ses parents pas plus tard qu’hier, et pour des motifs que le questionnaire qu’il a rempli, n’a pudiquement pas abordés. Le citoyen informé se débarrasse de ses vieillards comme il se débarrasse de ses enfants, en suivant la seule logique que ses maîtres lui ont enseignée et qui oriente tous les actes de sa vie quotidienne. Le citoyen informé ne peut pas admettre, après les accusations dont il est en permanence l’objet et qui sont vociférées par de véritables canailles, que ses maîtres puissent se débarrasser de lui sans trop y mettre les formes, après avoir calculé devant le monde entier le coût de sa vie ; et projeté par une habile comptabilité les coûteux frais d’entretien de ce chef-d’œuvre en péril.

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La société cybernétique nous procure de grandes libérations en nous délivrant de l’ensemble des pesanteurs de la contradiction : on peut être, par résilience joyeuse, talmudiste et heideggérien, anticapitaliste et spéculateur, homme et femme et bœuf, violeur et rude donneur de leçons, écologiste et défenseur de la p.m.a.g.p.a : tout cela en même temps et sans limites, dans le nouveau monde du démocrate Pipo, le putschiste élu par les futurs euthanasiés, les « auto-génocidés » comme l’écrivait si bien le torchon « Libération » en commentant, naguère, des émeutes en Californie.

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« La société cybernétique qui se désigne comme une société émancipée de toutes les contraintes, qu’elles soient morales ou matérielles est une société qui a pour postulat que le vrai n’existe pas plus que le faux (…) L’information forme-processus qui se veut sans négation, est la forme absolue de la censure. Sous son impact est vérifié le mot de Spengler : « On ne veut plus penser que ce que l’on doit vouloir, et c’est précisément ce que l’on éprouve comme sa liberté ». Le terrorisme logique du nominalisme cybernétique, nous a appris que la société cybernétique n’a plus besoin de justification, autre que celle-ci : j’y suis, j’y reste (a). A la rigueur un marxiste en granulés, épuré dans les meules universitaires, depuis sa triste chaire et parce qu’il n’a encore rien vu, est autorisé à parler opportunément de crise de la vérité (b). Il est dans l’obligation d’aligner, parce qu’apparemment il ne connaît rien d’autre, les abusifs et misérables poncifs que l’époque lui a plantés avec un vieux reste d’idéologie révolutionnaire gonflée jusqu’à devenir une argutie rhétorique dénuée de subtilité, juste bonne à effrayer, par tant d’audace dans l’amphithéâtre, le public venu dormir en regardant le conférencier menacer son monde minuscule avec son pistolet en buna anticapitaliste. S’il a égaré la trop fameuse arme, on ne peut pas lui reprocher de ne pas avoir conservé une copie du percuteur dont il ne sait que faire ; avec lequel il jongle ; qu’il a trouvé un matin sur sa table de nuit. Il ne sait plus à quel usage cela pourrait encore bien servir sur un marché des explications qui a une remarquable tendance à surévaluer ce qui n’a plus qu’une fonction de vieux gadget, plutôt merdeux dans sa complication pour spécialistes en bidules et trucs, une fois désamorcé et sectionné en rondelles par des nains si habiles, walkyries comprises ; si on peut l’échanger contre un poste de maître de conférences en philosophie ou, plus grave, en sociologie. Cet innocent aux observations mal conduites mélange de façon instructive la critique de la domination et de l’exploitation, pour la discréditer – pour l’intimider ou la réduire à des inepties calculées en soufflerie – quand elle recommence sans médiation accréditée, avec la croyance aux reptiliens et au complot juif, images renversées et manipulées du véritable complot de la marchandise dont l’écologisme, par exemple, est l’un des éléments structurants ; que cet esbrouffon veut ignorer dans son enthousiasmante forge à flans où il ne ridiculise que lui-même en promouvant d’aussi sottes conceptions du complot qu’il prête à tous ceux qui ne pensent pas comme lui ne pense pas. Il oublie de dire, de façon étonnante, que ce sont les autorités elles-mêmes qui facilitent, avec complaisance, la propagation de semblables absurdités qui n’ont même plus le charme de récits romanesques, quand elles ne les fabriquent pas pour se protéger. Il est finalement incapable de distinguer dans sa pseudo-critique ce qui relève de la réalité de la société cybernétique et de son gouvernement – le complot comme technique de prise de pouvoir, comme conservation et renforcement du pouvoir en période de crise, ou comme exercice naturel du pouvoir par une classe, le petit nombre, ou une fraction de la classe qui s’est mise en guerre pour réaliser ses propres objectifs, ou par une élite maffieuse au moment de sa décomposition… – de ce qui dépend d’une technique de la déception pilotée par toutes sortes d’autorités, afin de détourner préventivement, de rediriger et d’éparpiller les énergies de la colère et du refus sur des cibles de décharge ; pour les égarer dans la poursuite d’une infinité de buts fantasmatiques plutôt que d’un seul qui soit réel. En suivant les méandres de ses pauvres raisonnements que ce rectiligne nous démoule à l’infini et sans précaution depuis son milk-shake ( Gorz, Vincent, Debord et les autres…) il déduit que si vous commencez par soupçonner vos maîtres – devenus des boucs émissaires, par le simple fait qu’ils sont nommés et leurs pratiques reconnues, assujettis aux mêmes lois que leurs esclaves, et aussi malheureux qu’eux de l’être si inconsidérément dans la seconde nature qui, apparemment, les sert favorablement – il est dans le principe des choses que vous finissiez comme antisémite ; ou mieux encore, que tout soupçon quand il vient à se manifester – et dont il ressent le côté foncièrement corrosif pour sa petite entreprise de vendeurs de ballons versicolores, récemment fondée – serait toujours dépendant d’une structure antisémite immanente qui irrigue de ses flux délétères ce qui ne suit pas les protocoles d’autorisation et d’exposition qui ont cours dans la société cybernétique et auxquels il adhère, mine de rien  : une révélation par trimestre pour éviter les débordements du populisme exécré par les technocrates de cybérie (cf. : les révélations graduelles sur l’origine du sars-cov 2 qui sont un véritable modèle de falsification et qui doit être étudié pour tel en tenant compte de l’ensemble de ses variants politiques et propagandistes, ou les instructives dénégations sur l’arrivée du passeport sanitaire et sur la vaccination de masse présentés comme étant des thèses complotistes par l’intelligentsia-système réfugiée dans la forteresse de ses certitudes nourricières).

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On peut lire dans un livre publié il y a 25 ans, ceci : «  En dernier ressort, on peut noter que l’ambiguïté du complot est telle qu’il n’est pas impossible que le pouvoir lui-même se serve de cette structure secrète pour lutter contre le peuple dans l’intention d’éviter un soulèvement et sa propre disparition. Machiavel, rappelant qu’il convient d’éviter de rendre le pouvoir haineux et méprisable pour échapper aux complots, indique quant à lui que le pouvoir le plus astucieux est celui qui sait fomenter des complots fictifs afin, en les détruisant, de montrer à ses vrais ou potentiels ennemis sa force de riposte et de surveillance.

On peut donc distinguer trois formes possibles du complot : la conjuration d’ennemis contre l’Etat ; la réunion de forces secrètes au service de l’Etat contre les forces d’opposition ; la fausse coalition d’ennemis permettant d’évaluer le respect d’un peuple envers son gouvernement.

La véritable question à poser lorsque l’on affronte cette notion n’est donc pas, comme le font les grands hommes de l’histoire, « qui complote ? » mais « qui complote… contre qui ? » Ceci au risque que l’apparente tautologie du pronom se transforme en la transparente dénonciation d’un pouvoir qui ne disposerait sciemment des failles dans son système que pour mieux ensevelir ceux qui auraient la témérité, à l’instar de la fable du renard et du lion évoquée par Machiavel et La Boétie, de s’y aventurer ». Les mots du pouvoir, précis de vocabulaire. Editions Vinci, 1995.

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Ils préfèrent se couvrir de cendres, ceux qui jadis prétendaient souffler sur les braises ; on l’a trop longtemps cru. Ils servent à décorer des portes qu’ils ne franchiront plus jamais.

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« Ce dont je ne parle pas est comme ce qui n’existe pas » est l’une des lois de la société cybernétique ; pour le citoyen informé, c’est ce qu’il lui est impossible de combattre, ou plus simplement, de contester sans commettre un crime. Et d’ailleurs quel intérêt aurait-il à ne point se soumettre aux flux déferlants du fleuve pollué de l’information ? Et qu’aurait-il à y gagner, s’il fuyait ce travail imposé : sa fameuse prière réaliste du matin ? En échange de quoi, et dans quel but ? Et qu’aurait-il à apprendre qu’il ne connaisse déjà un tant soit peu, par la rumeur de sa radicale et prochaine disparition dans les limbes de la société cybernétique où tout s’agglutine dans un informe magma numérique ?

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Dans la société cybernétique la critique est une activité maudite. Fuir les synchronisations de l’information équivaut à un marronnage. Les services défensifs de la marchandise ont inventé le terme de complotisme, ce nouveau point Godwin, pour criminaliser cette hérésie des cimarrons modernes, parce qu’elle apparaît hors cadres, et qu’elle est conduite, dans ses meilleurs exemples, par l’incalculable logique dialectique. Être assimilé à un complotiste, dans ce monde, a été élaboré par les ingénieurs de l’inquisition qui le gouvernent, en véritable entrave psychique ; elle détermine les mobilités spirituelles du citoyen informé, ses transhumances dans la cellule qu’on lui a allouée de longue date ; qu’il est tenu de nettoyer de toutes les mauvaises pensées qui pourraient surgir, avec une obstination compulsive. C’est un tourment qui lui est infligé par doses répétées et grandissantes ; une crainte qui paralyse l’exercice de la pensée, la conduit sur les figures qu’impose la domination pour dissimuler l’exploitation à laquelle est soumis l’élémentariat.

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Le citoyen informé est à la fois celui qui ne veut plus rien croire de ce que lui disent ses maîtres, et aussi celui qui ne peut plus rien savoir de ce qui l’entoure, parce que plus rien ne peut-être su avec certitude dans un monde qui change quotidiennement ses paramètres. Le citoyen informé accepte de n’être instruit que par ses maîtres : il préfère hurler avec les loups que d’être désigné comme un malfaisant. Que disparaisse la considération que les maîtres lui accordent et le voilà coupable désigné ; il se transforme en l’un des acteurs privilégiés du malheur collectif. Pire que le virus, celui qui doute est l’ennemi intérieur, prêt à sacrifier ses contemporains sur l’autel de ses convictions sans preuvesdes nouvelles certifiées fausses par les accusateurs de l’inquisition qui sont les défenseurs d’un quelque chose qu’ils ne définissent jamais ; qui ne doit jamais l’être quand la société cybernétique passe de la douce persuasion à l’impératif catégorique de la seringue, au moment où il n’est plus question d’échapper au coronavirus, mais plutôt de ne pas attraper la vaccination qui est, à la fois, une sorte de menace métaphysique et une très réelle sanction qui frappe de manière indifférenciée et hasardeuse ; quand ceux qui gouvernent se sont mis à aimer le virus fabriqué comme une drogue, à laquelle ils reviennent sans cesse, dont ils suivent le rail inexorable ; et comme l’occasion d’une paix sociale nouvelle qu’ils n’avaient pas pu gagner par les moyens habituels ; qui étaient usés par leur usage trop fréquent et déconsidérés aux yeux du grand nombre. Celui qui fuit le marché des explications officielles légitime par cela même, aux yeux de tous, l’ensemble des chantages, menaces et tour de vis, en dernier recours. Le complotiste est à la fois un délinquant que l’on peut livrer sans remords à la psychiatrie, et le commode alibi que la société cybernétique fabrique pour installer ses protections et légaliser sa police de la pensée, dans sa course vers rien. Il ne peut être que l’antisémite, le déclassé, le crétin, l’homophobe, le pollueur, le raciste, l’antiféministe, le mâle blanc hétérosexuel, le suprématiste blanc, le populiste, l’analphabète. Il l’est simultanément ou à tour de rôle, d’une manière tragique, ou burlesque – la valeur, c’est le mâle (c). On peut faire aussi cette remarque sur ce vampire sur lequel nous avons une si abondante documentation : plus on en dénonce, plus il s’en trouve ; ce serait un crime que de s’en passer, la courageuse gauche – anticapitaliste qu’elle dit – y perdrait sa principale légitimation et n’aurait plus de raison pour exister. Toute critique véritable expose son porteur à l’une de ces accusations, et aux poursuites juridiques subséquentes, s’il est pris à trop persister dans son crime. Ces accusations sont également, et le plus souvent, des délations calomnieuses.

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L’anti-complotisme est le chapitre introductif d’une contre-révolution préventive ; ses silences sont plus éloquents que ses bavardages. Par sa présence insistante, ubiquitaire, ses tentatives de synchronisations, l’anti-complotisme dessine la géographie de la servitude et de la conscience qui l’accompagne. Nous sommes chez le petit-bourgeois normalisé, toujours en retard d’une guerre, qu’il semble regretter de n’avoir pas livré au moment où il fallait la livrer. Il nous introduit dans ses terreurs et dans sa représentation démoniaque du peuple qu’il réduit à une masse informe, somme de toutes les méchancetés, objet de toutes ses terreurs, après qu’il a eu la prétention de le perdre dans le dédale des angles vifs de ses utopies cauchemardesques. « En tout Etat, se trouvent trois sortes de gens, les opulents, les pauvres et les médiocres ; entre l’un et l’autre extrême de ces trois sortes, ceux qui sont au milieu sont ordinairement les plus paisibles, et plus aisés à gouverner ; et les extrêmes plus malaisés ; car les puissants, à cause des facilités que les richesses leur apportent, s’abstiennent malaisément du mal ; les pauvres, à cause des nécessités en lesquelles ils sont, semblablement ont coutume d’être vicieux. » Giovanni Botero. 

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Le citoyen informé préfère pleurer sa liberté perdue avec ceux qui ont présenté leurs mains à toutes les chaînes. Il s’est laissé enfermer dans le cercle nébuleux des fausses rationalités que produit l’information : elles lui paraissent moins tristes que la vérité ; peu lui importe qu’on lui déclare que le soleil brille lorsqu’il fait nuit, ou qu’on lui fasse croire que c’est l’économie qui a été suspendue, quand ce sont ses libertés résiduelles qui ont été balayées par la société cybernétique, lors de l’un de ses nettoyages périodiques.

 

Notes éparses sur la nuit cybernétique

Jean-Paul Floure

NOTES :

  1. Préambule aux travaux d’été de la Fédération anti-cybernétique (Mars 2002)
  2. Johanne Vogele, PALIM PSAO
  3. Ce biologisme abstrait n’étant pas, évidemment, de l’anticapitalisme tronqué.