Birnam

NATURE MORTE AUTOMATE

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« Espérons de garder ce que cette crise a de positif ! »*

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Nos peureux et infâmes intellectuels, dans « l’urgence » d’une situation, avec leurs discours fades et mensongers aux apparences parfaitement pondérées, simulent, désormais, la découverte de quelques éléments de la société cybernétique ; comme s’ils étaient de surprenantes nouveautés. A commencer par cette répugnante couche sociale, celle des cadres, à laquelle ils appartiennent et qui mérite d’être remarquée ; ne fut-ce que pour ses proliférations idéologiques démontrant son rôle essentiel dans la construction et la défense de la dernière phase du capitalisme ; cela est parfaitement décrit par son mot d’ordre de « sauvons la planète et le climat » : c’est un programme sur lequel tout se règle aujourd’hui, et qui se donne pour but de faire disparaître tout autre motif de conflit.

Ces proliférations idéologiques, métastases de la fausse conscience de cette couche sociale, ne sont, pour la plupart, que des légitimations judicieuses, d’autant plus suspectes que nombre d’entre elles prétendent à l’objectivité, d’une déshumanisation et d’une exploitation planifiée sous le contrôle de ces techniciens, experts, spécialistes, cadres, communicants, publicitaires, juges, ingénieurs, psychiatres…

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Cette couche sociale – par l’intermédiaire de ses idéologues – joue un rôle qui est confondu, d’une manière trompeuse et intéressée, avec celui de la gauche politique flanquée de son vieux majordome gauchiste, qui ont cessé d’exister dans la version pure et aberrante que nous leur connaissions, il y a un demi-siècle : un jeu illusionné, falsificateur et répressif, sur l’imposture du démocratisme parlementariste qui existait autant que beurre en broche dans la IIIème république ; et dont la seconde guerre mondiale a consacré la fin brutale.

Il n’est ressorti, de cette époque, que l’immonde spectacle de la prétendue bascule périodique de ce qui n’était finalement qu’une vulgaire entente maffieuse couvrant de sa machine politique l’arc de cercle des différentes formes de collaboration entourant la domestication. Elles lui ont été associées dans la plus béate des fausses consciences, jusqu’à cette décharge où vient de verser cette épave de société, ligotée sur son brancard. Mais tous ces éléments lui fournissent encore un masque commode, quelquefois secoué par des tics de révolutionnarisme hébété, sous lequel cette couche sociale parait, comme si nous étions toujours dans une époque antérieure du capitalisme ; et un fonds discursif réduit à une épaisse pâte phraséologique au vocabulaire neutralisé, à des pétitions de principe que cette couche sociale utilise d’abondance pour exposer sa présence au monde. Et obscurcir les véritables rapports de force qui sous-tendent la société cybernétique.

Pour le moment, ces éléments lui permettent la dissimulation de sa position d’avant-garde de l’émancipation cybernétique – de la 5G à la P.M.A G.P.A, de la numérisation de l’existence à la vie diminuée, du délabrement urbain aux biotechnologies des bricoleurs du néant, des diverses mutilations et manipulations de l’homme enfermé dans les gestes spécialisés du grand meccano de l’aliénation à sa cyber-mutilation physique et morale, en passant par l’écologisme scientifique et ses dérivés politiques (1), ses petits délires formalisés et ses affiliations marchandes, nappant tous les décomposés idéologiques issus de la fausse conscience que cette couche sociale entretient sur elle-même, sur ce monde ; et sur ses rapports avec la classe dominante. Elle la sert de ses conseils stratégiques que ce soit en matière de climat, de transition écologico-industrielle vers le pire, de production intellectuelle allégée, de consommation dirigée et des contrôles afférents, dont la rapide croissance a permis de mettre la totalité de la vie entre les mains de l’armée mexicaine de la nouvelle police, de ses rééducateurs, de ses formateurs, de ses surveillants, de ses parasites…

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On doit aussi remarquer la véritable transformation que l’écologisme, et sa version radicale-décroissante, ont fabriqué en matière de communication environnementale. Il faut croire qu’avertis par les alarmes incessantes de leurs managers quant à la survie de leur monde, ses propriétaires effrayés ont su tirer toutes les conclusions qui s’imposaient, plus rapidement et plus efficacement que leurs contempteurs ne l’auraient fait face à l’emballement prévisible de l’ensemble des dégradations produites par un capitalisme parvenu à son stade cybernétique : désastres et catastrophes, dont les idéologues de cette couche sociale croyaient qu’ils devaient nous conduire nécessairement à l’explosion de l’insoutenable cage de fer du capitalisme. Et conséquemment à la disparition de cette couche sociale plus intéressée que la classe dominante à imposer des limites à un capitalisme menacé dans et par sa progression. C’est du moins l’idéologie qu’ils ont su imposer, qui découle du programme de restrictions qui en est la source, à l’œuvre depuis une cinquantaine d’années – l’aiguillon au bord de l’abîme.

Mais les limites, quelles qu’elles soient et quels que soient les domaines où elles s’appliquent, les propriétaires de ce monde en connaissent un rayon, et comme nous venons de le voir, depuis plusieurs mois, ils ont quantité de tours d’avance sur leurs poursuivants enfermés dans leur cloche, avec leurs cliquetis argumentatifs de basse intensité.  Nous l’indiquions déjà, il y a trente ans, dans le dernier chapitre de « Brèves remarques sur des catastrophes récemment survenues & les prochaines » (3).

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Sans être devin et pour ceux qui ne l’auraient pas encore noté, mais cela ne saurait trop tarder dans le monde de l’itératif perpétuel, vient d’émerger sans en avoir le nom, d’une manière presque clandestine, une sorte de gouvernement des limites aux prérogatives étendues, en partie secrètes, destinées à sauver la domination du capital ; elles s’appliquent à la vie entière de l’élémentariat ; elles sont rapides et organisent la vie jusqu’au plus infime détail. Une sévère bureaucratie l’accompagne, transversale et tyrannique ; n’est perçu de cette nouvelle organisation de la survie, pour le moment, que le sommet et vaguement les limites de sa base : elles vont des services secrets à la sécurité sociale, des médias à big pharma sans rien négliger du reste. Elle n’a pas été déclarée ; ses salariés prélevés un peu partout ignorent jusqu’à son existence tout comme le rôle qu’ils tiennent dans cette organisation ubiquitaire : le capitalisme auto-limité, une farce.

Ce que l’on sait de cette forme de gouvernement concentré, tentaculaire et survivaliste, sans affect, si l’on considère les dix premiers mois de son existence officielle, se manifeste par un Etat d’urgence perpétuel et ses dispositions pseudo-légales acceptées par tous ; elles ont la forme de la loi et respectent l’apparat décisionnel du démocratisme – enregistrement dans les deux chambres avec la participation d’une opposition-croupion dont les membres, frappés de stupeur, n’ont qu’une seule crainte : qu’on les puisse soupçonner de complotisme, ce crime qui contient tous les crimes. Ces imposteurs préfèrent les charmes inépuisables du despotisme cybernétique. Ils expliquent aux âmes endormies qui se sont enfoncées dans ce pays sans issue, qu’un gouvernement n’est pas choisi pour régler des problèmes, mais pour faire taire ceux qui les posent.

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Sous le prétexte d’une épidémie, augmentée d’une fausse pandémie, les Lords Protecteurs du nouveau monde, par des séries d’incompétences surjouées et spectaculaires, ont signalé l’apparition de leur gouvernement étendu par une série d’attaques essentiellement dirigées vers leurs populations devenues l’ennemi principal à combattre ; et vers qui se réorientent exclusivement l’ensemble des armes que la classe dominante a forgé pour maintenir son pouvoir depuis les années cinquante du siècle dernier.

L’Etat Providence en se disloquant a révélé les potentialités destructives de chacune des institutions qui le composaient ; n’est perçu, désormais, que l’immense machinerie despotique au service du Talon de Fer. Elle fonctionne à l’esclavage, pour l’esclavage, sans répit. Elle est opportuniste dans ses constructions idéologiques. Elle n’a pour unique morale que son fonctionnement : tout ce qui l’accroît est favorisé, tout ce qui l’empêche est impitoyablement éliminé. Elle a détruit l’autonomie de tous et par là même s’est rendue indispensable à chacun. Elle a su se faire aimer en réduisant toutes les solidarités à une unique échelle. Elle constitue, pour une grande part, le noyau administratif de la logique relationnelle qu’elle paramètre de ses règlements.

Le terrorisme qui semblait ne devoir s’appliquer que ponctuellement, pour parer l’éventualité de crises à venir ou pour gérer de manière extraordinaire des crises en cours (2015), ou pour régler des conflits internes à cette classe est devenu, en 2020, une méthode générale de gouvernement qui s’applique indifféremment à tous les problèmes engendrés par la progression et les transformations d’un capitalisme qui n’a plus besoin de convaincre ; il est là par droit de conquête, et ne passe aucun compromis avec les adversaires qu’il a choisis, et qu’il a formés ; et que les peuples ont le malheur de croire leurs représentants.

Des médiatiques consacrent, chaque jour qui passe et quel que soit le sujet abordé, le règne de la terreur et de l’inquisition. C’est de manière terroriste qu’est décidé, par ceux qui détiennent le calendrier des révélations, ce qui doit être dit, et ce qui doit être tu – dans l’avancement, par exemple, des études sur le génome humain, sur l’état réel des réserves énergétiques, du gouvernement dans la société cybernétique, du truquage généralisé des élections, ou de l’élaboration d’un eugénisme spécial adapté à la logique marchande, pour que le citoyen informé soit accepté comme élément opérationnel sur les différents théâtre de son exploitation.

Dans cette offensive, le gouvernement réel de la marchandise, suivi de son personnel de surface, ne dédaigne pas de recourir jusqu’à des méthodes de contraintes empruntées à des formes de capitalisme que l’on avait la facilité de croire primitives et révolues ; ces méthodes sont désormais ouvertement revendiquées et intégrées dans les panoplies de la gouvernementalité cybernétique. Elles ont leurs raides apologistes spécialisés dans le saccage de l’existence et son exploitation déchainée ; ils sont recrutés dans toutes les couches sociales et prédisposés à la sèche résolution de tous les dilemmes éthiques : de la destruction des rapports sociaux à l’établissement d’un passeport spécial mêlant santé, triage par critère sociaux-politiques, données intimes et autres joyeusetés ; ce qui aura pour première conséquence de fragmenter l’existence par une multitude de ségrégations et de l’enserrer dans les lacets d’interdictions profuses ( cf. la logique relationnelle, désormais appuyée par la distribution et la consommation obligatoire d’une drogue de la survie, injectée à date régulière, par abonnement et sans autre examen que des tests à refaire, par les guides et les maîtres-chanteurs du « système de la maladie » ; drogue spécifique dont nous ne connaissons pas encore toutes les qualités mélioratives dans sa supposée protection à tempérament, ni même la totalité des grands avantages économiques et politiques dans le gouvernement du travail ; mais on doute pas que nous disposons là d’une nouvelle chaîne de l’esclavage qui cherche sa routine meurtrière et exclusive aux mains des humaniptères de la marchandise – les criquets du progrès).

Dans la stratégie du despotisme bureaucratico-marchand, qui marche au pouvoir total par ses restructurations successives, cette couche sociale sait que rien ne peut être mis en œuvre sans elle. Elle s’y plie, malgré ses jérémiades écologiques et néo-techniques, ses toilettes sèches et ses éoliennes pour ventiler ; comme elle plie l’élémentariat dans ses structures – une tâche sans fin. C’est une fatalité à laquelle elle ne peut pas échapper, que celle d’être de toutes les nasses. Elle accepte d’en avoir la plus déshonorante des parts à condition de participer à l’ensemble des calculs et prévisions que la domination établit sur sa propre survie.

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Dans la débandade généralisée de l’opposition intégrée, cette représentation de toutes les soumissions qui participe à la politique bien comprise du « bord de l’abîme » du gouvernement de la mort, par la mort, qui espère tant de ses fléaux et des effrois qu’ils entraînent pour son maintien, le marché des explications qui accompagne cette débâcle d’un pas élastique n’a pas démérité. Ce marché est l’un des éléments constitutifs du coup du monde faussement désordonné qui clôt son second chapitre, par une série de règlements disciplinaires, de procédures policières et juridiques, appuyés par la loi. Ils sont apparus, en France, avec le coup d’Etat institutionnel du 23 mars 2020. Les chiens de garde de la société cybernétique les nomment sanitaires dans leur langage de la dissimulation, car il nous faut croire que l’on se préoccupe davantage de notre santé dans la société cybernétique que de son ordre et de sa sécurité. Sous le sanitaire se déploie la logique policière d’une dictature avouée qui multiplie les processus de systématisation de la servitude. Le motif sanitaire couvre le terrorisme actif de la classe dominante : les morts du covid-19 sont davantage les victimes d’une restructuration du capitalisme, que celle d’un virus apparu opportunément. Le chantage à la santé est venu en renfort, comme une cerise sur le marteau.

Dans la société cybernétique, le citoyen informé ne vaut pas mieux que son véhicule et il est traité en conséquence ; si l’un est à la vidange périodiquement, à l’autre l’abstraction d’une vie d’ange encastrée dans les débris du monde ; il reste, désormais, à expliquer à l’un des deux les motifs de son rejet lors du contrôle technique obligatoire, qui vient d’être mis en place – le nouveau passeport ouvrier qui consacre l’émergence d’inédits liens de dépendance, dont certains, par exemple, pourraient s’orienter vers une vaccination perpétuelle auto-infligée, sur le modèle du stylo-injecteur pour diabétique.

Seuls les idiots et les aveugles volontaires prétendent que la société cybernétique n’a besoin que de travailleurs en bonne santé pour la faire fonctionner : la disparition progressive de l’immunité naturelle au profit d’une immunité artificielle, calculée et temporaire, coûteuse et souvent inopérante, fictive, est un programme unanimement respecté grâce à la peur qu’il engendre : la servitude volontaire s’appuie toujours sur le gourdin que l’on prétend inexistant ; il est plus passionnant de voir le dos qui se courbe, que de voir le fouet qui s’abat, et les chaînes que l’on verrouille.

La progression de l’artificialisation biotechnologique est un moyen de gouvernement, vaguement ressenti sous l’appellation falsifiée et bienveillante de biopolitique ; la loi du profit en constitue l’innommable centre, et le discours sur les qualifications du travailleur libre, la périphérie.

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Le coronaruption bureaucratico-marchand traduit dans un langage clair la sourde et permanente révolte des marchandises et de l’Etat contre l’humanité ; la volonté de la diriger vers son encapsulage cybernétique. Les métaphysiciens du capital – ses logiciens – prétendent que c’est la juste rétribution de l’infernal matérialisme de leurs esclaves. C’est une barbarie suréquipée qui ne promet que d’être durable dans les contraintes qu’elle fait surgir partout, nécessairement, et qu’elle se doit de produire pour sa sécurité ; parce que c’est une loi à laquelle elle ne peut déroger si elle veut survivre au milieu de la prolétarisation généralisée qu’elle propage et gère. C’est la solution de ceux qui n’en ont plus aucune, et qu’acceptent, avec ferveur, ceux qui ne se voient pas d’autre destin que de servir l’utopie-capital qui apparait dans une suite de coups d’Etat. Ils se rêvaient en héritiers d’un quelque chose, ils n’ont rien trouvé de mieux que cela en parcourant leur boucle temporelle : « rationaliser la décomposition catastrophique du capitalisme » – le dernier des progrès. Ils y mêlent leurs ardeurs moutonnières comme une danse autour de la yourte.

 

Jean-Paul Floure

 

*France Culture, 6 avril 2020.

Notes :

 1- « La saga de l’auto-dénonciation écologique qui partout accompagne le désastre comme son prolongement nécessaire, qui oriente le regard de ses adeptes sur certains aspects de la marchandise, afin de l’oublier, ainsi que ses irrésistibles progrès dans la désintégration, est un modèle de pseudo-négation élaboré par les services préventifs de la domination. Cette pseudo-négation de la marchandise qui s’est constituée en opposition contrôlée se présente, depuis ses débuts, comme la servante des intérêts de tous, mais à différents degrés. Aux assujettis, l’écologisme prétend offrir la garantie d’un ralentissement de la barbarie marchande, et une réorganisation sociale saupoudrée de quelques facéties convivialistes, accueillantes comme une sphère glacée aux confins de l’univers ; aux maîtres, que leur monde peut être sauvé s’ils régulent leur démence et freinent la décadence – du moins dans les apparences ; aux cadres, l’opportunité d’une rapide promotion dans les services d’intendance de la catastrophe, et ses succursales multiples. » Sur le département des émotions, mai 2002, Editions Birnam.

2- « D’autres ne veulent voir dans les catastrophes qu’une défaillance de la production marchande et le fruit de la négligence de ses gestionnaires ; ils se proposent de remédier à ses manques pour peu qu’on leur laisse de plus larges responsabilités dans cette gestion ; ils réclament donc toute une batterie de mesures et de méthodes d’organisation de la production et des hommes propres à les satisfaire : ainsi tout fonctionnera mieux qu’avant sur les mêmes bases. » Brèves Remarques sur des catastrophes récemment survenues et les prochaines, 1989.