Première édition, 1er janvier 2021
Et comme dans toutes les affaires, il y a ce qui les prépare, ce qui détermine à les entreprendre, et ce qui les fait réussir ; la vraie science de l’histoire est de remarquer dans chaque temps ces secrètes dispositions qui ont préparé les grands changements, et les conjonctures importantes qui les ont fait arriver. BOSSUET
Espérons de garder ce que cette crise a de positif ! Anselm JAPPE*
Les historiens appelleront le temps qui commence l’époque du despotisme occidental. Gianfranco SANGUINETTI
Il est assurément regrettable que tant de choses qui parviennent si subitement à la conscience de nos contemporains, à la faveur d’une prise de pouvoir officielle par l’une des factions toute provisoire du gouvernement cybernétique – le remplacement de ceux qui viennent d’arriver est déjà programmé : quelques têtes seront montrées au peuple et les pires décisions seront pérennes -, aient pu rester si longtemps dans le non-dit et dans le non-relaté, entre censure et déni bien structurés. Nous voilà arrivés dans cette « nouvelle normalité » où il nous faudra exciper en permanence de notre loyalisme et de notre civisme pour prétendre acheter notre pain, et même pour nous déplacer afin de l’avoir – si possible ; peut-être même pour travailler ou toucher la « sportule ».
Nous n’avons été ni surpris, ni sidérés, par la troisième phase du « coronaruption », cet éclaircissement de bien-fonds au sens élargi. Il n’y a là que du prévisible. Ce n’est pas le virus qui vient d’arriver, c’est eux : les alphas très savants, si l’on en croit leurs grasses apologies ; avant qu’ils le prennent dans la gueule le variant epsilon.
Le texte qui suit, abrégé pour la circonstance, a déjà été publié sur birnam.fr, le premier janvier 2021 sous le titre « Nature Morte Automate ». Il décrivait quelques aspects de cette société cybernétique qui s’est mise en place depuis un demi-siècle, fragment par fragment.
Le temps des petites illusions est passé ; et avec lui le déni qui l’accompagnait selon des modes opératoires extravagants (l’anti-complotisme par exemple). Ce sont toutes les allégeances, quelles que soient leurs formes et leurs contenus, qui sont mises en musique sur un thème unique, assourdissant, depuis longtemps connu.
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Sans être devin et pour ceux qui ne l’auraient pas encore noté, mais cela ne saurait trop tarder dans le monde de l’itératif perpétuel, vient d’émerger sans en avoir le nom, d’une manière presque clandestine, une sorte de gouvernement des limites aux prérogatives étendues, en partie secrètes, destinées à sauver la domination du capital ; elles s’appliquent à la vie entière de l’élémentariat ; elles sont rapides et organisent la vie jusqu’au plus infime détail. Une sévère bureaucratie l’accompagne, transversale et tyrannique ; n’est perçu de cette nouvelle organisation de la survie, pour le moment, que le sommet et vaguement les limites de sa base : elles vont des services secrets à la sécurité sociale, des médias à big pharma sans rien négliger du reste. Elle n’a pas été déclarée ; ses salariés prélevés un peu partout ignorent jusqu’à son existence tout comme le rôle qu’ils tiennent dans cette organisation ubiquitaire : le capitalisme auto-limité, une farce.
2
Ce que l’on sait de cette forme de gouvernement concentré, tentaculaire et survivaliste, sans affect, si l’on considère les dix premiers mois de son existence officielle, se manifeste par un Etat d’urgence perpétuel et ses dispositions pseudo-légales acceptées par tous ; elles ont la forme de la loi et respectent l’apparat décisionnel du démocratisme – enregistrement dans les deux chambres avec la participation d’une opposition-croupion (1) dont les membres, frappés de stupeur, n’ont qu’une seule crainte : qu’on les puisse soupçonner de complotisme, ce crime qui contient tous les crimes. Ces imposteurs préfèrent les charmes inépuisables du despotisme cybernétique. Ils expliquent aux âmes endormies qui se sont enfoncées dans ce pays sans issue, qu’un gouvernement n’est pas choisi pour régler des problèmes, mais pour faire taire ceux qui les posent.
3
Sous le prétexte d’une épidémie, augmentée d’une fausse pandémie, les Lords Protecteurs du nouveau monde, par des séries d’incompétences surjouées et spectaculaires, ont signalé l’apparition de leur gouvernement étendu par une série d’attaques essentiellement dirigées vers leurs populations devenues l’ennemi principal à combattre ; et vers qui se réorientent exclusivement l’ensemble des armes que la classe dominante a forgé pour maintenir son pouvoir depuis les années cinquante du siècle dernier.
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L’Etat-Providence en se disloquant a révélé les potentialités destructives de chacune des institutions qui le composaient ; n’est perçu, désormais, que l’immense machinerie despotique au service du Talon de Fer. Elle fonctionne à l’esclavage, pour l’esclavage, sans répit. Elle est opportuniste dans ses constructions idéologiques. Elle n’a pour unique morale que son fonctionnement : tout ce qui l’accroît est favorisé, tout ce qui l’empêche est impitoyablement éliminé. Elle a détruit l’autonomie de tous et par là même s’est rendue indispensable à chacun. Elle a su se faire aimer en réduisant toutes les solidarités à une unique échelle. Elle constitue, pour une grande part, le noyau administratif de la logique relationnelle qu’elle paramètre de ses règlements.
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Le terrorisme qui semblait ne devoir s’appliquer que ponctuellement, pour parer l’éventualité de crises à venir ou pour gérer de manière extraordinaire des crises en cours (2015), ou pour régler des conflits internes à cette classe est devenu, en 2020, une méthode générale de gouvernement qui s’applique indifféremment à tous les problèmes engendrés par la progression et les transformations d’un capitalisme qui n’a plus besoin de convaincre ; il est là par droit de conquête, et ne passe aucun compromis avec les adversaires qu’il a choisis, et qu’il a formés ; et que les peuples ont le malheur de croire leurs représentants.
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Des médiatiques consacrent, chaque jour qui passe et quel que soit le sujet abordé, le règne de la terreur et de l’inquisition. C’est de manière terroriste qu’est décidé, par ceux qui détiennent le calendrier des révélations, ce qui doit être dit, et ce qui doit être tu – dans l’avancement, par exemple, des études sur le génome humain, sur l’état réel des réserves énergétiques, du gouvernement dans la société cybernétique, du truquage généralisé des élections, ou de l’élaboration d’un eugénisme spécial adapté à la logique marchande, pour que le citoyen informé soit accepté comme élément opérationnel sur les différents théâtres de son exploitation.
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Dans cette offensive, le gouvernement réel de la marchandise, suivi de son personnel de surface, ne dédaigne pas de recourir jusqu’à des méthodes de contraintes empruntées à des formes de capitalisme que l’on avait la facilité de croire primitives et révolues ; ces méthodes sont désormais ouvertement revendiquées et intégrées dans les panoplies de la gouvernementalité cybernétique. Elles ont leurs raides apologistes spécialisés dans le saccage de l’existence et son exploitation déchainée ; ils sont recrutés dans toutes les couches sociales et prédisposés à la sèche résolution de tous les dilemmes éthiques : de la destruction des rapports sociaux à l’établissement d’un passeport spécial mêlant santé, triage par critère sociaux-politiques, données intimes et autres joyeusetés ; ce qui aura pour première conséquence de fragmenter l’existence par une multitude de ségrégations et de l’enserrer dans les lacets d’interdictions profuses ( cf. la logique relationnelle, désormais appuyée par la distribution et la consommation obligatoire d’une drogue de la survie, injectée à date régulière, par abonnement et sans autre examen que des tests à refaire, par les guides et les maîtres-chanteurs du « système de la maladie » ; drogue spécifique dont nous ne connaissons pas encore toutes les qualités mélioratives dans sa supposée protection à tempérament, ni même la totalité des grands avantages économiques et politiques dans le gouvernement du travail ; mais on doute pas que nous disposons là d’une nouvelle chaîne de l’esclavage qui cherche sa routine meurtrière et exclusive aux mains des humaniptères de la marchandise – les criquets du progrès).
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Dans la débandade généralisée de l’opposition intégrée, cette représentation de toutes les soumissions qui participe à la politique bien comprise du « bord de l’abîme » du gouvernement de la mort, par la mort, qui espère tant de ses fléaux et des effrois qu’ils entraînent pour son maintien, le marché des explications qui accompagne cette débâcle d’un pas élastique n’a pas démérité. Ce marché est l’un des éléments constitutifs du coup du monde faussement désordonné qui clôt son second chapitre, par une série de règlements disciplinaires, de procédures policières et juridiques, appuyés par la loi. Ils sont apparus, en France, avec le coup d’Etat institutionnel du 23 mars 2020. Les chiens de garde de la société cybernétique les nomment sanitaires dans leur langage de la dissimulation, car il nous faut croire que l’on se préoccupe davantage de notre santé dans la société cybernétique que de son ordre et de sa sécurité. Sous le sanitaire se déploie la logique policière d’une dictature avouée qui multiplie les processus de systématisation de la servitude. Le motif sanitaire couvre le terrorisme actif de la classe dominante : les morts du covid-19 sont davantage les victimes d’une restructuration du capitalisme, que celle d’un virus apparu opportunément. Le chantage à la santé est venu en renfort, comme une cerise sur le marteau.
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Dans la société cybernétique, le citoyen informé ne vaut pas mieux que son véhicule et il est traité en conséquence ; si l’un est à la vidange périodiquement, à l’autre l’abstraction d’une vie d’ange encastrée dans les débris du monde ; il reste, désormais, à expliquer à l’un des deux les motifs de son rejet lors du contrôle technique obligatoire, qui vient d’être mis en place – le nouveau passeport ouvrier qui consacre l’émergence d’inédits liens de dépendance, dont certains, par exemple, pourraient s’orienter vers une vaccination perpétuelle auto-infligée, sur le modèle du stylo-injecteur pour diabétique.
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Seuls les idiots et les aveugles volontaires prétendent que la société cybernétique n’a besoin que de travailleurs en bonne santé pour la faire fonctionner : la disparition progressive de l’immunité naturelle au profit d’une immunité artificielle, calculée et temporaire, coûteuse et souvent inopérante, fictive, est un programme unanimement respecté grâce à la peur qu’il engendre : la servitude volontaire s’appuie toujours sur le gourdin que l’on prétend inexistant ; il est plus passionnant de voir le dos qui se courbe, que de voir le fouet qui s’abat, et les chaînes que l’on verrouille.
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La progression de l’artificialisation biotechnologique est un moyen de gouvernement, vaguement ressenti sous l’appellation falsifiée et bienveillante de biopolitique ; la loi du profit en constitue l’innommable centre, et le discours sur les qualifications du travailleur libre, la périphérie.
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Le coronaruption bureaucratico-marchand traduit dans un langage clair la sourde et permanente révolte des marchandises et de l’Etat contre l’humanité ; la volonté de la diriger vers son encapsulage cybernétique. Les métaphysiciens du capital – ses logiciens – prétendent que c’est la juste rétribution de l’infernal matérialisme de leurs esclaves. C’est une barbarie suréquipée qui ne promet que d’être durable dans les contraintes qu’elle fait surgir partout, nécessairement, et qu’elle se doit de produire pour sa sécurité ; parce que c’est une loi à laquelle elle ne peut déroger si elle veut survivre au milieu de la prolétarisation généralisée qu’elle propage et gère. C’est la solution de ceux qui n’en ont plus aucune, et qu’acceptent, avec ferveur, ceux qui ne se voient pas d’autre destin que de servir l’utopie-capital qui apparaît dans une suite de coups d’Etat. Ils se rêvaient en héritiers d’un quelque chose, ils n’ont rien trouvé de mieux que cela en parcourant leur boucle temporelle : « rationaliser la décomposition catastrophique du capitalisme » – le dernier des progrès.
Jean-Paul Floure,
1er janvier 2021
*France Culture, 6 avril 2020.
1- « – Et quelles étaient vos conclusions ?
– Que la société actuelle était exécrable. Qu’elle devait être modifiée de fond en comble.
– Pourquoi ?
– Parce que la soi-disant Entente n’a jamais été qu’un bluff. Elle est née parce que l’ancien mouvement prétendument socialiste était en train de perdre le contrôle des salariés et des travailleurs. Et à ce moment-là, la social-démocratie a bazardé ses électeurs aux bourgeois. Ils n’ont conclu la grande coalition – l’Entente, comme on l’a appelée par la suite – que parce qu’une poignée de personnes voulaient s’accrocher au pouvoir. Ils ont abandonné le socialisme, modifié successivement le programme du parti et ainsi livré le pays tout entier à l’impérialisme et au capital privé (…) J’ai longtemps étudié ces questions, à fond. Pour empêcher que le pays ne devienne socialiste, le parti social-démocrate et le mouvement syndical se sont écartés de leurs plus importants principes idéologiques. Les dirigeants de l’époque étaient depuis si longtemps au pouvoir qu’ils ne pouvaient accepter de le perdre. De plus, ils s’étaient aperçus que le mouvement ouvrier et ses organes pouvaient aussi être dirigés selon un modèle bourgeois et ploutocrate, ayant pour but le profit de quelques-uns. Le principe fondamental de l’Entente était, et est toujours, que tout doit être rentable. C’est pourquoi cette alliance chimérique a été conclue et son vrai caractère dissimulé derrière une façade hypocrite de clichés sur le bien-être, la compréhension réciproque et la sécurité. Derrière le mythe que tout allait de mieux en mieux (…) Sur le plan matériel, pendant un temps. L’individu était pris en charge, en tant que personne physique, mais traité en irresponsable sur le plan intellectuel. La politique et la société sont devenues des choses abstraites, qui ne concernaient pas les individus. Et pour tromper les gens, on leur bourre le crâne d’inepties soigneusement censurées, dans les journaux, à la radio et à la télévision. Jusqu’à ce que la population tout entière, ou presque, soit complètement abrutie ; jusqu’à ce que les gens ne sachent plus rien, à part qu’ils ont une voiture, un appartement et la télévision, et qu’ils sont malheureux. Qu’il est plus drôle de se suicider ou de se soûler à mort que de travailler. » Per Wahlöö, Arche d’acier, 1968