Birnam

SUR L’INVENTION DE LA MACHINE ARRIERE (1)

 


« (…) Nous laissons emporter nos esprits au premier bruit que sème l’artifice, que jette l’imposture, que le hasard même produit quelquefois… » Cardinal de Retz

Monsieur Kempf,

   Ayant lu votre article pétaradant de flatteries sur le « Manifeste conspirationniste » sur reporterre.net, votre décharge écologico-compatible, j’en suis venu à me demander si vous n’aviez pas été détenu abusivement ces derniers mois, au secret et dans un lieu étonnant pour ses invraisemblables puanteurs et son scandaleux manque de lumière, « confiné » comme on dit aujourd’hui, jusqu’à perdre l’essentiel de vos facultés cognitives pour apporter votre soutien à une grossière opération médiatique, dont le principal but est de vouloir détourner spectaculairement la négation pour la juguler, l’orienter sur une profitable voie de garage où elle pourra être paisiblement désossée. A moins qu’il ne s’agisse, plus en accord avec l’esprit de l’époque, de la transformer en un filon commercial destiné à une consommation culturelle, certes encore relativement marginale, au moment où l’omertà constitutive du genre de société dans laquelle nous avons le privilège de vivre, se dissout par tous les bords.

    On peut dire de cette opinion qui tente de se constituer en force pratique partout où le mensonge de la société cybernétique est non seulement perçu mais ne fonctionne plus, qu’elle est devenue quantitativement et qualitativement signifiante. Elle est sortie des schémas habituels où une propagande à l’efficacité déclinante tentait de la contenir, ne fut-ce qu’en la moquant, à côté de tant de reproches fantastiques, d’être minoritaire. C’est le plus sot des reproches personne ne vivra assez longtemps pour convaincre tout le monde, comme ils l’ont fait à Hiroshima. Tout observateur, un tantinet averti du monde pitoyable où il vit, connaît ce qu’est une majorité, ce qu’elle représente réellement, par une convention acceptée qui ne cherche pas trop à vérifier par quelle porte dérobée sont arrivés les escamoteurs qui l’imposent. Cette majorité qui doit être crue plus réelle que tous les mirages de l’Arabie, l’on doit faire mine d’ignorer comment ils la sortent de leurs chapeaux dans leur cour des miracles ; comment ils la changent dès que le besoin s’en fait sentir ; s’en fabriquent aussitôt une autre qui leur convient mieux. Donc cette opinion minoritaire dont nous parlions, exorbitante et condamnable pour ce qu’elle raconte ouvertement, est non seulement en mesure de se défendre en ne croyant plus rien de ce que les autorités et ses jongleurs lui montrent à dessein dans le diaporama par exemple, et au niveau le plus basique, en n’achetant plus le mensonge en ramenant des feuilles imprimées chez elle, l’industrie fournissant du papier hygiénique de qualité supérieure, sans maculatures.

   Cette opinion, dans de multiples cas a dû se risquer à engager le combat avec le mensonge dans les domaines où il est le plus affermi ; avec un succès qui va du relatif au certain, sur des terrains qui jusqu’à maintenant avait été désertés ; et sur d’autres qui paraissent, entraînent les soupçons les plus invraisemblables ; qui ne sont rien moins que révolutionnaires puisque leur simple existence est déjà une remise en cause de l’ordre social. Il est évident que cette opinion ne se préoccupe pas plus que ça des invraisemblables divisions où elle était maintenue artificieusement, pas plus que des minuscules différences débitées à tout va, sans précaution, gérées par les machines à dépassionner les foules et qu’elles inscrivent sur leurs productions après chaque défaite rationnellement prévue pour les basculer dans le néant ; qui les accumule et les compresse…

   C’est parce que cette opinion insultée partout par des crétins, dont tout le monde connaît la servitude infâme, qui lui ont servi de caisse de résonance et sont même allés jusqu’à la répandre en pensant la contredire avec efficacité en la désignant comme une pathologie de l’intelligence – ils étaient les seuls à en parler sans oser s’exposer à la contradiction – que l’on peut et l’on doit envisager dorénavant, que les propriétaires du monde doivent se mettre en position de la contrôler, cette infernale opinion qui ne cesse de se propager et se fait aimer. Ils ne peuvent plus la tenir pour rien, alors qu’elle les entrave dans leurs décisions, qu’elle les complique un peu en les affectant d’un léger coefficient de désobéissance, modifie les effets de leurs calculs, en révèle les raisons les plus secrètes ou le prétend, dévie, en les exposant à la connaissance de ceux qui veulent savoir, les programmes les mieux étudiés pour entreprendre de prochains saccages. Elle voit son ennemi, sans le voile moral, et le décrit avec réalisme, même dans les images les plus saugrenues qu’elle nous en offre, comme si elle était devenue, elle-même et plus qu’un peu, Machiavel. Le monstre est nu. Il s’avance le gourdin à la main pour entretenir les meilleures convictions sur son possible avenir ; il ne promet rien d’autre que de frapper encore et toujours jusqu’à l’accomplissement de la clôture cybernétique.

   On ne sait pas si cette horrible opinion, ce bug, ira jusqu’à vouloir se gouverner par elle-même, ce qui est de son devoir historique, mais il est plus qu’évident qu’elle commence, du gouvernement qu’elle endure, à en appréhender les méthodes et les rouages, les ignobles secrets qu’elle étale sans apprêts à la connaissance de tous, les tenants et les aboutissants de la logique marchande, les noms des entrepreneurs en diableries capitalistiques et cybernétiques qu’elle s’est mise en mesure de dire. Et cela couvre d’effroi ceux qui se voient cités à côté de leurs complices en affaires malhonnêtes protégées par l’ensemble des institutions de l’Etat ; réalité que l’Etat est devenu chaque jour plus profondément, tant et si bien qu’il n’est plus qu’une succursale dirigée par des fondus de pouvoir sans scrupules, la ferme générale, qui lèvent les fonds de leur méduse mondiale. Ils ont découvert, ceux-là, que ce n’est pas en multipliant les insignifiances de l’anti-complotisme, en accumulant à son service cette montagne d’esprits à gages, ternes et sans aucun relief, si semblables entre eux par leur manque de clairvoyance, de courage, pris par les absurdes compensations que leur offre ce siècle désolé, qu’ils pourraient emporter la bataille de l’opinion, alors qu’ils l’avaient commencée avec tous les avantages d’une position supérieure face à des gens qu’ils avaient mis un soin infini à priver de tout ; même de cervelle selon la rumeur : « Il faut en manquer pour aller tirer les moustaches du tigre ».

   Ceux qui gouvernent ont compris que c’est parce qu’ils ont été si loin dans le contrôle de la vie, que la question sociale est revenue, de force. Ils l’ont nommée « complotisme » et leurs chiens de garde s’étranglent de fureur rien qu’à la considérer cette question sociale qu’agite une minorité inconjugable, pire que leur virus. Il leur semble que c’est le passé qui se dresse devant eux et les accuse. Bref, il s’agit, pour eux, de retourner, de plusieurs manières – qui n’ont rien d’inédit –, la négation contre elle-même en présentant au monde un « bon conspirationnisme », récuré, ajusté à un segment reconnu du gauchisme radical qui reste et veut rester pilotable dans l’enceinte cybernétique. 

   Malgré le fait que ce gauchisme de conversion cybernétique suit depuis quelque temps, sous la contrainte des événements, une tendance à s’extravaser du lieu où il s’était maintenu volontairement et aveuglément contre vents et marées dans le demi-siècle qui vient de s’effacer du cadran.

   Gauchisme remarquable non par ce qu’il est amené à refuser trop bruyamment, par comédie et superficiellement, et qu’il abandonnera au premier choc, mais par ce qu’il accepte désormais d’évoquer plus discrètement et moins qu’épisodiquement. Il sait, de source sûre, que ses facéties provoquent l’hostilité et le dégoût, plus rarement le rire. Choses sans destin dont il est assez aisé d’établir la liste plutôt ennuyeuse, et dont les porteurs de ce gauchisme intégré, revu à la baisse par ces boursicoteurs autour de la corbeille de leurs tristes espérances, avait plein la bouche, il y a encore quelques mois de cela. Chimères sans épaisseur, en filigrane dans leur ouvrage trompeur quand on le lit jusqu’au point de fuite de leur perspective tronquée, qu’ils veulent oublier, car ils ont brutalement tâté de leur décevante réalité sur l’espace social des objets qu’ils ont contribué à fourbir, depuis de nombreuses années, par leur infatigable activité – la logique relationnelle qui dans la sphère où ils se sont cantonnés spécialement, a été portée chez eux au-delà de l’expérimental. Ils ont préfiguré, sur plusieurs points avec brio et avec une courte avance, l’avenir de la société cybernétique, que celle-ci ait besoin de machines ou pas… Il n’est que de se replonger dans les innombrables publications que ce courant intellectuel du socialisme cybernétique, prétendument avant-gardiste et novateur, souvent en phase programmatique avec le confortable nihilisme dans lequel baigne la société cybernétique, a laissé traîner derrière lui. C’est une armée de bouses apocalyptiques qui ont fait l’admiration d’une génération entière de crétins diplômés qui ont soigneusement tenu leurs cervelles dans les étroites limites du sacrifice qui leur était demandé, saison après saison, dans une sorte de Cambodge conceptuel qui leur est devenu, un peu, comme un métavers primaire : une structure méta-sociale et normo-marginale en décomposition permanente : sa qualité centrale.

   Est donc venu au jour un bon complotisme, tiré au cordeau à l’aide de théories plus que suspectes (a) et qu’il faut sauver du marasme qu’il leur semblait promis, destiné à remplacer un « mauvais complotisme » qui n’a que trop duré et trop lassé les gestionnaires de la servitude par l’ensemble de ses prétentions et son débraillé populaire. C’est un complotisme d’élagage, bien profilé par ses régisseurs très instruits dans la taille de ce foisonnant maquis et, pour se faire respecter, d’un gauchisme extraordinaire de surcroît, connu pour ses mésaventures très surprenantes et regrettables dans le panoptique cybernétique ; qui, grâce à une serpe juridique de bon aloi, lui a fabriqué cette incontestable gueule d’innocence dans le vedettariat qui, dans une alchimie inverse, extrait de la négation du spectacle, le spectacle de sa négation. C’est un complotisme d’une rentabilité meilleure maintenant que le moment s’en fait sentir d’une manière singulièrement aiguë, quand l’anti-complotisme sombre dans le ridicule jusqu’à donner de l’emploi à de minuscules crétins trouvés dans le fond de la lie médiatique ; car il semble que, de tout ce qui provient de ce lieu corrompu de mille manières, rien n’est cru longtemps, pas même au-delà du quart d’heure mesuré avec une balayette américaine, où la sottise calculée pour ses effets comiques est presque toujours dite par un second rôle venu distraire le public en entrecoupant le spectacle du varius et ses trois coups par des intermèdes bouffons, attendus.

   Quand les dompteurs de la tourbe, présumée et méprisée, ne savent plus vraiment par quoi remplacer leurs mensonges en faillite pour diriger utilement les émotions qui surgissent, « autant », se disent-ils, et comme pour prolonger leur complot et lui donner une touche de perfection, « se ranger avec l’opinion la plus commune, qui nie avec un peu d’esprit ; peut-être même se pousser un peu au-devant d’elle pour atténuer la corrosion qui nous ronge ; se faire oublier comme un incendiaire se range dans la foule des spectateurs pour regarder le brûlement, la divine surprise qu’il vient de commettre à son avantage, avec un air de profond regret ».

   Et de la décrire ainsi, sous votre plume, cette opération « Portes ouvertes » menée en direction de l’innocence qui s’étouffe dans les fumées de l’incendie :  » Il faut voir, à côté de son armature générale très convaincante, comme un tourbillon remuant l’air intellectuel tétanisé depuis deux ans par l’injonction du Covid. »  A qui voulez-vous faire croire ce mensonge d’intubé ? A vos lecteurs ? A vos employeurs ? A vos associés ? A votre famille ? A vos confrères – la valetaille des vendus ? que vous voulez convaincre que vous êtes une pointure dans la basse-cour où l’on vous aperçoit les yeux tout ronds, en train de picorer bruyamment des vérités, que tout le monde connaît depuis le mois de mars 2020, que vous faites semblant de découvrir en vous poussant du bec, après tout le monde, sur un tas d’informations qui manquent singulièrement de fraîcheur et que les  fanfarons ont mis deux ans à dénicher en distinguant avec beaucoup de subtilité, et une lenteur qui s’interpose, le veau du frais? Surtout après avoir été les partisans du premier parti qui s’est présenté à eux, celui du veau, qui leur paraissait convainquant dans la mesure où il leur était évident qu’il ne pouvait raisonnablement y en avoir un autre qui leur aurait permis de juger sainement de la situation ; ils se sont évertués à la dissimuler sous un fatras de déclarations dilatoires et de grossières fantaisies ; les imitateurs préfèrent se rouler dans les cendres du mensonge que de marcher sur les braises de la vérité. Surtout maintenant, après deux ans d’un silence particulièrement prudent que vous avez partagé avec l’ensemble des médiatiques en caquetant à tout va dans votre poulailler blindé, n’importe comment et sur n’importe quoi, sauf sur ce qui importait vraiment.

   Votre gueule, si souvent grande ouverte pour dénoncer tant de périls qui guettent les pauvres, lors du Coup d’Etat du 23 mars 2020, fermée vous l’avez soigneusement gardée pour tenir votre laisse au chaud, ainsi que l’ont fait les véloces lapins de ce tardif et factice Manifeste recopié un peu partout  par ces mouille-colle du copié-collé et retraduit dans une prose gonflée au « déjantyl ». Gueule fermée, j’insiste, que vous aviez comme une autruche aux yeux clos, comme la totalité de la gauche radicale, qui est le plus long des faux nez de la gauche tournebride : elle a fait système avec le complot covid en étant le docile relais de la propagande gouvernementale – la gauche-droite cravache qui veut piquer tout le monde, comme elle fait des trous dans tous les budgets de l’Etat.

   Je ne vais pas vous faire l’insulte de vous faire un dessin pour vous montrer la bassesse d’une époque qui produit des gens tels que vous, qui dans un premier temps ont utilisé tous les moyens à leur disposition pour mettre sous le boisseau tout ce qui déplaisait aux propriétaires du monde et dans un second temps, de leur laisser les mains libres, afin qu’ils ne soient pas bousculés sur leurs lignes d’opérations pendant leur prise de pouvoir.

   Vous ajoutez ensuite, aux deux phrases que je viens de citer, ceci : « Tout conspire à ce que ce tourbillon et d’autres à venir balaient les miasmes qui stagnent dans nos esprits confinés », parce que désormais vous et vos semblables êtes pris dans un vortex de révélations (a) au sujet des deux dernières années du Coup du monde ; il vous faut donc avoir l’air d’être au parfum dans votre cellule, et peut-être même de l’étouffer cette vérité entre deux édredons, en prétendant en prendre la tête – littéralement –, par quelques indiscrétions opportunes, quelques subterfuges et leurres informationnistes ou quelques manœuvres pratiques. Voilà qui restera comme une sorte de record dans la falsification, pour autant que des records soient encore possibles dans votre spécialité qui est plutôt courte en matière de curiosité intellectuelle et d’honnêteté – vous êtes journaliste et c’est tout dire ; vous n’attirez pas spontanément la sympathie.

   C’est exactement celui  qui a menti, falsifié, occulté, qui vient se plaindre d’avoir « l’esprit confiné », attend qu’on le « libère » de ses propres mensonges et de l’ensemble des mensonges auxquels il a adhéré, car c’est son métier, qui nous annonce courageusement que désormais, et pour bientôt, après l’édition de ce prototype en phase expérimentale dont il fait l’imbécile éloge, l’on passera au stade de la production industrielle d’un complotisme propre auquel il ne manquera éternellement que le percuteur pour avoir une quelconque efficacité dans le bocal aux poissons rouges. Mais il est vrai que vous avez été employé au Monde, et qu’il vous en reste une épaisse couche.

   Enfin et pour conclure provisoirement sur ce Manifeste, que nous avons si longtemps attendu de la part de ces redoutables Pinocchio sans mémoire, qui nous manquait si cruellement, et manifestement si long qu’il nous semble que leurs auteurs, après avoir été des cons, veulent s’en convaincre les premiers ; maintenant que nous l’avons, il nous paraît une chose extraordinaire qui a échappé à la plupart des commentateurs de ce conspirationnisme domestique, et cela reste comme un mystère, ou comme une énigme à résoudre : de toutes les bonnes choses racontées dans ce pavé de bonnes intentions et d’interminables prétentions, la meilleure reste le fait qu’ils ne prédisent rien d’autre que le passé (b), avec force détails, après avoir prétendu, quand celui-ci n’était encore que du présent, qu’il n’était pas ou ne pouvait être autrement que celui que leurs maîtres leur disaient… Cela leur fait comme un trou dans le blason, déjà plié. Ils sont conspirationnistes, certes, car ils suivent leurs troupes. Ils ont été d’une étincelante absence aux Thermopyles. Il ne leur aura donc fallu que deux ans pour abandonner Dunsinane.

   Ils écrivent propre, les blanchisseurs. C’est le métier qui rentre.

   Bien à vous

birnam.fr

Jean-Paul Floure

*cf. Sur un aspect du nettoyage cybernétique et Sur la petite boucherie du chaos, birnam.fr

(a) Tout est presque connu pour ceux qui veulent vraiment se donner la peine de savoir ; chaque jour amène son lot de révélations, vérifiées pour la plupart.

(b) « Ce fut un coup du monde. » Tout le pronostic est dans le passé simple. Il faut s’attendre, pour les mois qui viennent, à ce qu’ils nous dévoilent qui va sortir de Moscou en feu, en long et en large.