Le texte dont nous commentons quelques passages significatifs est issu du site « En finir avec ce monde »*. Ces quelques passages constituent de précieux et bouleversants documents sur notre époque et sur ce qui se présente, sans vergogne, encore et toujours, comme l’expression la plus rare et la plus haute de sa conscience critique ; ou, du moins, les prétentieuses décombres qui en subsistent après sa brutale désintégration au mois de mars 2020. Désintégration qui est venue mettre un point final à une interminable agonie que d’aucuns ont nommé « la grande sidération (2020-2022) » et d’autres, pour en montrer, jusque dans le nom, l’absolue modernité spectaculaire, « le Sidérathon » qui a consacré la mobilisation et l’unification totalitaire des esprits et des corps, quand personne n’était autorisé à s’élever au-dessus du détail infime ou fragmentaire, sans être menacé par le knout médiatique quel que soit le nom sous lequel il se présente depuis de nombreuses années.
Ce texte de Louis – un père qui nous vient de Colmar – , dont nous pouvons, sans grand risque, affirmer qu’il est l’une des illustrations symptomatiques de cette trop longue décomposition achevée en burlesque et triste sidération, semble être rédigé par le couillon informé qui est resté coi – l’ubiquitaire et insubmersible camarade Blablatov – qui ne peut, ni ne veut rompre avec la pauvre théologie qu’il s’évertue à reconstituer par les successives complications des points de vieille doctrine qu’il ravaude avec patience dans sa jésuiterie sans fenêtre, avec pour seule aiguille une forme appauvrie du doute – apparemment – et ne fonctionnant que sur un petit nombre d’objets dont la liste complète est tenue secrète. Il a retrouvé cette chose idéale après le désordre de sa fuite ; et maintenant il nous roule son épaisse pelote de dogmes contestables – son algèbre des vertus conjugables et tolérables – jusqu’au bord de l’abîme de la complexité où il la perd en l’établissant fermement sur un nuage de principes inédits. Ce redoutable chef de service de petite cléricature de la société cybernétique se perdrait en conjectures sur un marteau, s’il en avait eu un seul et l’avait reconnu pour tel, sur la forme de la tête du clou où porter son coup ; et s’il faudrait frapper, sur ce clou, avec le manche ou avec le fer.
On ne le sait que trop, cette théologie sécularisée n’a pour grandeur que les vertigineux sommets de ses filandreuses sottises dont son auteur nous dit les renversantes et lourdes conséquences pratiques pour sa génération aux révoltes échouées, comme autant de naufrages décoratifs sur les récifs de l’approbation qui leur ont fait signe. Désormais libre d’oublier ses pâmoisons et ses syncopes du temps du Coup du monde où cette cohorte de courageux artilleurs fut de toutes les débandades, elle est désormais à la parade dans l’infatigable sidéraction sans mémoire qui sourd de la garenne intellectuelle où elle s’était couchée après sa débauche ; elle y avait soigneusement protégé de toute contamination ses refus qui ne refusent rien et leurs débris dérisoires qu’elle continue à tâter fiévreusement, en cherchant les dernières richesses qu’ils recèlent afin d’en débarrasser le monde.
Elle s’irrite toujours contre ceux qui accusèrent des fautes et des crimes publics, et non pas contre ceux qui les commirent. Quelle étrange clairvoyance de cette critique décomplexée sur la base d’une purge idéologique de ses anciens concepts, et qui a trouvé dans le panier de l’anti-complotisme son plus haut moment, son couronnement glorieux et son sac de couchage. Elle s’est offensée de voir confondre des attentats manifestes contre la vie par l’exposition que l’on en a fait ; elle ne s’est pas même offensée à la vue des auteurs qui les revendiquèrent, proclamèrent outrageusement leurs programmes et les poursuivent diversement aujourd’hui. Tout à la conservation des petits métiers du ressentiment autorisé où elle a ses ébats grandioses et ses querelles de nabots, elle n’a eu qu’indifférence pour la vérité et s’est scandalisée qu’on s’efforce de détruire le mensonge par la démonstration de ses raisons. Elle n’y a trouvé aucune des nécessités de l’esclavage qui l’avaient hypocritement désolé autrefois, et qu’elle a la prétention de condamner à nouveau, après l’intermède où elle s’est curieusement oubliée du côté des parasites de la peur qui ont débordé de ce genre de serviteurs informés. Elle a admis, deux fois plutôt qu’une, pour marquer ses adhésions au cours des choses, qu’il n’est pas admis de cogner sur le peuple quand il se révolte, mais qu’il est quand même permis de le faire pour le sauver de ses tentations populistes. Elle a marqué en cela son passage du ciel à la terre en perdant la rigoureuse et imparable géométrie philosophique qu’elle s’était bâtie quand elle vivait dans les nuées où elle avait sa ferme demeure. En revanche, elle a gagné, dans cet épisode, sa ruine qu’elle continue à nous vendre comme si de rien n’était (cf. Lundimaton).
Se relevant aujourd’hui de son sommeil, ce trou sans profondeur où elle est tombée à la verticale, cette pseudo-critique se livre à ses reconstructions mémorielles avec des cris d’autruche venant de heurter un objet insolite dans le sable de ses préoccupations. Elle nous revient lentement de sa désertion et de ses nombreuses dénonciations émises dans la même langue, la même syntaxe, avec le même lexique que ses supposés ennemis. Elle est en ordre, allégée et définitivement extrudée – à la seringue dans le parc des objets où sonne le tocsin rassembleur de toutes les peurs de ne pas être suffisamment mort.
Ce Louis, obscur jésuite qui vient de s’abattre sur ce début de siècle qui sombre, afin d’en accélérer la chute, comme un soudain passif dans un inventaire qui devra commencer par l’énumération des longs désastres accumulés composant le stock de cette faillite, est, pour tout dire, le clocher de son église, son minuscule officiant et son loquace bedeau. Que ne ferait-il pas pour en être aussi le tumultueux bénitier où viendraient s’abreuver avec délices quelques fidèles attirés dans son conventicule par les perles de saine dialectique que ce docteur fait flotter dans son récipient ? Il promet de les leur injecter régulièrement entre leurs molles vertèbres cervicales s’ils courbent leurs têtes sans os sous son niveau et sa bulle. Quoique la forme dans laquelle il souffle son crédo calamiteux soit fortement gonflée par l’aspect négatif dans laquelle il nous l’inscrit obligeamment et qui lui est comme une contrainte stylistique, le contenu casuistique de sa médication, qui n’est pas que du son brodé à l’intérieur d’un ballon jeté sur un mur, émane d’un créatif du concept. Ce que cette dent de dragon élabore méticuleusement dans sa chicane qui s’éternise, se transforme, à considérer son bidule de plus près, en un fatras d’inextricables rouages, courant et sautant dans tous les sens, follement, sur sa table de dissection, depuis qu’il les sort de leur boîte.
Sous la lime de Frère Louis, il n’est pas jusqu’au concept de Spectacle qui ne devienne, par arrachements multipliés de significations et de révisions du regrettable contenu initial qui sentait son complotiste, un simple cure-dents customisé : machin dont on ne peut pas nier l’utilité dans certaines activités hygiéniques ; et dans d’autres cas, plus fréquents – Hélas ! –, est transformé insidieusement en un article d’épicerie culturelle sur un marché saturé par les nouveaux procédés de gestion d’un refus tenu entre les bornes de l’acceptable, de l’utile, sinon de l’agréable à destination des tenanciers de la domination décomposée. Par son emploi régulier et sa distribution automatisée dans les idéologies en cours, il confère une allure de sauvagerie presque spontanée à la moindre des critiques apologétiques. En l’intégrant à la panoplie des fétiches habituels de la sphère médiatique, en le retournant et le purifiant de ses dernières et désolantes traces d’intentionnalité, les fourberies de la marchandise acquièrent une innocence que les précédents discours élogieux, que la Société du Spectacle tenait sur elle-même, avaient perdue depuis longtemps. Celle-ci a donc préféré dissimuler sous le manteau de Thersite, qu’elle vient de racheter dans une friperie d’extrême-gauche, la description falsifiée de ses œuvres. Elle nous disait précédemment : « Ce qui est bon apparaît et ce qui apparaît est bon », maintenant que tout a été publiquement amélioré, clandestinement changé ou légalement annulé, elle nous dit, sur un ton de menterie rénovée et de regret effronté « tout ce qui est là est mauvais, demain sera pire encore ». Finalement ce ne sont que les réprobations de ses pleureuses attitrées, choisies après de rudes sélections et rassemblées dans des séminaires découragés autour d’un sujet unique : l’amélioration continue de la fausse conscience qui surgit du désastre comme l’une de ses conséquences inéluctables mais nécessaires à sa poursuite, partout et sur tous les sujets possibles. Au temps du réchauffement climatique, la pseudo-critique joue le même rôle qu’une pompe à chaleur dans un logement durable: réversible.
La rationalisation mercantile de l’ensemble des activités sociales étant descendue depuis longtemps jusqu’au détail insignifiant – la mastication, par exemple, dûment rationalisée par le chewing-gum qui en a fait une activité profitable, presque un travail obligatoire, pour les différents trusts du vide existentiel organisés sur cette assommante rumination de l’aliénation – ne pouvait être indifférente à ce qui se présentait, hier encore, comme la critique totale de la logique de la marchandise, pour ne pas la transformer et en faire le mâchouillement parfumé et bien éduqué d’une catégorie sociale et économique, plutôt soucieuse de l’avancement de ses membres dans l’organigramme de la catastrophe. Elle y trouve ses emplois et son avenir, ses émois et ses divertissements, ses dénigrements récréatifs et ses doutes correctement calibrés, sa littérature et son art, ses drogues ; cet ensemble résume, à la perfection, le degré de conscience où elle est parvenue en se poussant du col et du cul dans une fin du monde supplémentaire s’ajoutant à une collection foisonnante d’abjectes trouvailles en cette matière ; elles font, en haut, les joies et le gagne-pain des claque-merdes de l’écologisme gouvernemental à hélices et, un peu plus bas, les tristesses sur mesure et à tempérament des casseroles du marché noir aux illusions sur le désastre et ses pseudo-événements contestataires attendus où chacune touchera son diplôme d’employée à défaut d’une rémunération ou d’une gratification plus substantielle réservée aux leaders d’opinions. C’est aussi cela qui donne à la moindre des productions pseudo-critiques de cette catégorie sociale subalterne un caractère d’absurde abstraction, d’analyse outrée ( ), perdue dans la recension sans fin de détails sans importance, recoupés en huit sinon seize, recopiés d’un ouvrage à l’autre : la seule originalité à laquelle ces tape-gueules prétendent pour se classer dans l’estime populaire puisqu’ils sont, non seulement dans l’incapacité à brosser un portrait fidèle de la domination actuelle et de ses faux mystères, mais aussi dans l’impossibilité de franchir cette frontière d’un pays qui s’est réduit à une peau de chagrin, sans être aussitôt sous le feu des accusations d’une inquisition dont ils sont devenus l’un des départements parmi les plus dociles, et le plus bavard. Mais que fallait-il attendre de ces gens prêt à se saisir de la sciure de leurs chats pour y chier à leur tour ?
Ce qui est recherché, par cette nouvelle forme de l’apologétique au service de l’exploitation de l’homme par l’homme, n’est pas une claire description, qu’elle n’atteint jamais et ne peut atteindre, de l’absolue misère où végètent les hommes, mais d’y remédier fallacieusement par quelque inutile réforme, par une solution chimérique, par d’infinies précautions qu’elle est souvent la première à condamner dès que les pauvres et habituelles mystifications qu’elles induisent sont perçues – tactique connue, tactique perdue dit le proverbe. L’un des buts recherchés consiste également dans la multiplication des plaintes de victimes professionnelles – il y a des écoles de formation pour ce métier si particulier et si douloureux qu’il n’est plus laissé au hasard de l’amateurisme et à son culte des choses rares – et de les transformer en une esthétique de la souffrance qu’il faut couvrir par les boîtes à rythmes du néo-gauchisme mercenaire qui sait les prolonger en de très bonnes affaires, sinon en structures de contrôle quand les prétendues et imprévisibles crises surviennent avec la régularité du retour des corps célestes – comme s’il y avait un rapport nécessaire et immuable entre la baisse tendancielle du taux de profit et l’irruption accélérée de ces structures de contrôle, de l’augmentation de leur emprise sur la vie (cf. l’élaboration de la mégamachine coronavirienne comme gigantesque structure de contrôle qui a précipité l’apparition officielle de la société cybernétique et conséquemment des commencements de sa fin, de ses pratiques, et de ses modifications économiques et géopolitiques si controversées, parfois incomprises dans leurs conséquences ultimes dans la coupole maffieuse de gouvernement et particulièrement chez ceux qui assurent son service idéologique).
Exploitées par séries de thèmes obligatoires, ces plaintes ou éléments de distraction – un tragique en conserve – sont affermées à l’armée mexicaine de la nouvelle police qui module les apparitions fragmentaires de ces miettes du malheur élevées en pépinières dans les fermes de l’épouvante sociétale, selon des techniques lourdement standardisées et selon les nécessités de progression des structures de contrôle de la société cybernétique. Nous sommes là devant l’apparition d’un véritable secteur industriel de la marchandise qui nous présente la collection de ses performances réalisées ou en voie d’achèvement – son botulisme. Le plus souvent ces plaintes sont sans connexion avec une réalité qui échappe à ceux qui les promeuvent comme de salutaires entreprises à développer sur un marché des insatisfactions qui a perdu son caractère dramatique, ou ludique, par l’inflation qu’il subit de toutes parts, et dont on perçoit désormais, et sans effort, le grotesque, le comique involontaire et l’absurdité des revendications lilliputiennes. Elles appuient une domination qui en a fait d’utiles diversions qu’elle favorise par leurs expositions complaisantes dans une sorte de foire perpétuelle de la réification généralisée qui marque le nouvel ordre des choses et sa capacité pantagruélique à tout avaler de ce qui prétend le démonter – un peu ; et de le reconstruire avec des miradors et des check-points imaginatifs – partout. Bref de nous mener progressivement vers ce monde tout en perfection où la moitié de l’humanité travaillerait à surveiller l’autre moitié sous une lumière permanente.
Ces affections extraordinaires et aux contenus fantastiques arrivent par paquets de mille, profitables pour le petit nombre qui nous les invente en suivant également la ligne d’une logique commerciale d’une insolence à l’américaine. Ces artifices de la machine à produire, à la chaîne, de la conformité monstrueuse et du monstre intégré, ont été constitué en maux répertoriés et hiérarchisés, depuis l’amputation progressiste jusqu’aux prothèses classieuses d’une misère revendiquée ; ils font la joie et les fortunes du Parti Médiatique qui travaille à tout retrancher. Emmenés et dirigés par un nouveau clergé – les bonasses du refus – , ils remplacent avantageusement les défilés militaires d’antan, et ont le mérite d’envoyer au Minotaure cybernétique, à date régulière dans son labyrinthe, sa provision de jeunes crânes à fracasser. De plus, la pratique régulière de ce qui doit être considéré comme un ensemble de pratiques sacrificielles est conseillée par l’ensemble des autorités qui soutiennent et contrôlent leurs remarquables invasions dans de nombreux domaines qui les attendaient, à la fois, comme un soulagement pratique face à d’anciennes révoltes épuisées qu’il fallait transformer en rituels rustiques à forte valeur ajoutée, et comme une relance idéologique des diverses machines à traire l’absence attachées au métabolisme de la marchandise.
Ces maladies imaginaires, qui viennent d’arriver, sont recherchées pour leur confort et leurs prestations, subventionnées pour les coûts de leurs lancements protestataires, professionnalisantes pour les plus avertis, exposés médiatiquement à la grande satisfaction des maîtres du jeu, qui s’amusent de cette gymnastique à répétition et des étirements spirituels et sportifs imposés à de petits groupes de masques sur mesure qui s’escamotent avec leurs véritables buts dans de nouvelles journées révolutionnaires au service de la société cybernétique et de sa police. Elles ponctuent les décades de la soumission ordinaire, ses exterminations subséquentes, d’un culte obligatoire et moral, simple et pédagogique, à la portée de tous dans ses dévotions sans complications et ses manifestations démocratiques de porteurs de grelots et de marottes. La simple énumération de ces morceaux de néant aussi recherchés que les trésors de Golconde – le fameux catalogue des insatisfactions garanties et satisfaites comme il se doit à chaque trimestre – , procure un sentiment de quiétude et de jouissance aux véritables créateurs et protecteurs de la misère. Ils sont assurés par la garde rouge de la marchandise que personne n’est en mesure d’en démonter les mécanismes, ni même d’y remédier véritablement ou même de le tenter d’aucune manière – « Pourvu que cela dure » clament les siphonneurs de la marchandise et de l’Etat.
Rationalisée, et redirigée par segments sur un ensemble de sujets autorisés et de bon aloi, spécialisée dans de très courtes doléances que l’on glisse dans les boîtes à idées du panoptique cybernétique afin de l’emmener par paliers successifs vers sa compression utopique, cette néo-critique, qui, dans sa pureté fonctionnelle et son étroitesse bureaucratique, possède les qualités essentielles de l’eau, n’est rien d’autre que la forme parfaite d’une censure qui roule ses flots corrompus et déborde démocratiquement jusque dans la moindre des sectes protestataires constituant le glacis défensif de la société cybernétique. Elle règle leur existence par des codes et des protocoles si pointilleux que celles-ci finissent par ressembler en tous points à leur ennemi quand elles ne s’y substituent pas pour remédier à ses manques les plus criants en matière de chaos désirable, le seul monde où la marchandise peut s’ébattre en toute sécurité et imposer son ordre paradoxal par ses côtés les plus novateurs et disruptifs(1).
Les discours domestiques que tient la société cybernétique, afin de s’imposer et de fournir d’elle-même une image convenable et plausible qui satisfasse le monde, sont dans l’obligation d’emprunter une forme négative et de paraître parvenir, en grande partie, depuis ses marges soigneusement nettoyées ; et elles en proviennent souvent puisque celles-ci n’ont rien trouvé de mieux, ni de plus passionnant, que de se constituer en bureaux d’études et en centre d’informations de la catastrophe. Cette fausse critique, qui est également un exutoire, un produit aussi falsifié sinon plus, que les marchandises qu’elle prétend condamner, dégénère le plus souvent en de vulgaires compromis s’établissant sur des mécontentements exploités comme de vulgaires gisements de matières premières, quand elle n’est pas une spéculation de nominalistes émise depuis Sirius.
Pour Louis, de Colmar, soutane qui ne lâche rien aux orties qui l’entourent, il s’agit aussi d’évoquer, de très loin, en tant que virtualité, l’existence d’un possible dédoublement diabolique de son propre Club dont il est devenu le membre vaticinant à la suite de sa corrodante sidération. Alors que son esprit le lui souffle, et de toute part dans le labyrinthe où il erre depuis jadis avec son bidon de certitudes flageolantes, il ne consent point à accepter la réalité d’un phénomène d’étrange dédoublement qui laisse stupéfait, que ce prédictif nous raconte pourtant avec les précautions qu’il ose et le définissent. Il lui paraît incroyable, et techniquement impossible, que la sorte d’Immaculée Conception à l’horizontale – le terrain de chasse expérimental de la Société cybernétique où se combine avec l’exploitation passionnelle des masses, une socialisation de l’ensemble des misères enfin acceptées et tenues pour des restrictions utiles et productives – , dont il se fait l’apôtre vindicatif dans sa diatribe, engendre de toutes parts monstres et simulacres dès qu’on l’accouche de ses différents rejetons ; et, si nous nous en tenons à son témoignage borgne et de sourd, ces ombres ou reflets ne sont, pour le moment qu’en phase d’apparition : une hypothèse d’école dans un miroir lointain ; « n’est pas constitué » ainsi que cet endormi l’écrit au pied du château de la réification où il verse plusieurs mesures de son vinaigre doux pour conjurer la division de son utopie en deux parties dont l’une dévore l’autre en permanence. Car cet aveugle de vocation se crève les yeux à le guetter, le viol de son idole, dans sa veille prolongée en ravissement. A croire cet innocent, les représentations qui fusent de la machine, quand elle est parvenue à transformer ses contempteurs en actionnaires de sa survie, ne sont pas encore de ce monde ou, du moins, si l’on ne regarde pas, avec opiniâtreté, dans la direction maudite. Elles ne sont pas encore au monde ; pas même à l’état de spectres en activité derrière les glaces sans tain du sarcophage cybernétique.
A lire les tétanies morales de Louis de Colmar, l’émotion nous guette, nous gagne et presque nous ploie sous les charmes métaphysiques de sa longue harangue qui ronge les faits, parfois les corrige, souvent les oublie. Nous attendrons donc avec impatience la suite de ses pesantes considérations sur un réel qu’il recherche toujours dans ses immersions périscopiques, dès que ce génie en arabesques y mettra, pour toucher son sol, les pieds. A moins qu’il continue, en déplorant les malheurs de l’époque qui l’a vu naître, à regarder le canon de son fusil tout en appuyant sur la gâchette pour voir s’il en sort quelque chose de nouveau, par hasard.
(A suivre)
Jean-Paul Floure
* « Le retournement du spectacle – 3 janvier 2023, En finir avec ce monde »
(1) Un exemple : diagnostiquer une maladie, prescrire un remède, ou anéantir le patient, la différence s’effondre dans l’imperceptible. La médecine moderne totalement assujettie aux impératifs économiques, a récemment franchi une étape historique et politique : plutôt que d’attendre patiemment les victimes du désastre, elle tend désormais à s’assurer un quota incompressible de clients – le patient étant en voie de disparition. Des nouvelles inquiétantes parviennent des trusts pharmaceutiques : il semblerait que des chercheurs aient mis au point de nouveaux médicaments pour des maladies qui n’auraient pas encore fait leur apparition, mais ils s’en remettent à la progression de la barbarie industrielle. Il semble, aussi, que les maladies qui viennent d’arriver ne peuvent pas être guéries par les nouvelles molécules, car celles-ci et celles-là entrent en synergie. Enfin, à ce qu’il paraît, des psychiatres élaboreraient dans le plus grand secret de nouvelles définitions des maladies mentales : seraient insanes les hommes qui ne présenteraient aucun trait pathologique exploitable définissant les nouvelles maladies professionnelles si fréquentes dans l’usine-monde – Madame Sandrine Aumercier, spécialiste en narcopolitique, nous préparerait un petit dictionnaire sur ce remarquable sujet disruptif en commençant par un article sur l’hérésie complotiste et en le terminant sur les effets secondaires de ses injections lacaniennes.
De nouvelles et curieuses généalogies ont lieu, et les hommes découvrent avec effroi qu’ils sont moins les fils de leurs pères que ceux de leurs employeurs et de leur marchandises. Les « filles du distilbène » peuvent donc être attribuées avec certitude à l’industrie pharmaceutique comme une légitime progéniture, après que leurs mères eurent été le support périssable d’un acte d’appropriation légal. Sur les tenures empoisonnées des seigneurs du nihilisme techno-marchand les hommes effectuent des travaux inédits, dans des liens de dépendance renforcés. Ainsi que le proclame un cybernéticien : « Le texte de la loi est inscrit dans la chair, et constitue le logo d’une société « incarnée – c’est-à dire, au sens propre, devenue chair. Au bout du compte, le processus d’incarnation doit être poussé jusqu’à la limite de la désincarnation .» Georges TEYSSOT, l’architecture d’aujourd’hui numéro 351
Le nihilisme cybernétique a torréfié ses terres pour y accueillir les procédures les plus déroutantes. On doit même prévoir que ce sont les plus monstrueuses qui doivent fleurir sur le fumier des suppressions déjà survenues. Elles y sont inscrites et prévues. Elles ne sont là que pour accroître prioritairement les pratiques du contrôle totalitaire sur un « stock » d’hommes à la conscience effondrée devant désormais vivre sur un territoire pathogène.